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était un Anglais ; il avait les cheveux rouges comme un piment mûr. Le beau cavalier vivait. Alors, dans mon désappointement, je blasphémai le saint nom de Dieu, et c’est ce dont je m’accuse, mon père.

Perico se frappa la poitrine, tandis que le franciscain lui représentait toute la noirceur de ce dernier crime en passant très légèrement sur le premier, car la vie d’un home, d’un Anglais hérétique surtout, est d’un poids bien léger aux yeux de la classe la moins éclairée de la nation mexicaine, dont le moine et le lépero m’offraient deux types fort distincts. Fray Serapio termina son homélie en administrant à la hâte à Perico une absolution dans un latin digne des comédies de Molière ; puis il reprit en bon espagnol :

— Maintenant il ne te reste plus qu’à demander pardon à ce cavalier de l’avoir mis trop fréquemment à contribution, ce qu’il te pardonnera Volontiers, vu l’impossibilité où tu es de recommencer de long-temps.

Le lépero se tourna vers moi, et, de l’air le plus languissant qu’il put prendre :

— Je suis un grand pécheur, me dit-il, et je ne me croirai tout-à-fait absous que si vous daignez me pardonner les tours indignes que je vous ai joués. Je vais mourir, seigneur cavalier, et je n’ai pas de quoi me faire enterrer. Ma femme doit être avertie à l’heure qu’il est, et ce serait un grand soulagement pour elle, si elle trouvait dans ma poche quelques piastres pour payer mon linceul. Dieu vous les rendra, seigneur français.

— Au fait, dit le moine, vous ne pouvez guère refuser cette faveur à ce pauvre diable, et ce sont les dernières piastres qu’il vous coûtera.

— Dieu le veuille ! dis-je sans penser que je faisais presque un souhait homicide, et je vidai ma bourse dans la main que me tendait Perico, qui ferma les yeux, laissa tomber sa tête à la renverse, et ne parla plus.

Requiescat in pace ! dit fray Serapio ; la course doit être bien avancée, et je n’ai plus rien à faire ici.

Nous sortîmes. — Après tout, me disais-je en m’éloignant du cirque, je n’avais pas encore obtenu du Zaragate des confidences aussi curieuses. Une telle confession me dédommageait amplement du mécompte que m’avaient causé mes premières relations avec ce singulier personnage. D’ailleurs, cette leçon était la dernière que devait me donner le lépero, et à cette pensée je ne pouvais me défendre d’un peu de pitié pour lui. J’avais tort cependant, comme on va le voir, de croire tous mes comptes réglés avec mon maître Perico.