Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/868

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la colonie. Il résulta de cette tolérance un fait inoui dans les fastes des nations modernes : c’est que, les lois anciennes se taisant complètement sur la position des étrangers, puisque nul étranger ne pouvait être admis dans la colonie, et ces lois n’ayant point été abrogées, les étrangers ne furent soumis dans l’île à aucune des charges qui pesaient sur les sujets espagnols de Cuba ; ils ne payaient ni impôts, ni patente, ni contributions personnelles, et furent, par le fait, beaucoup plus favorablement traités que les nationaux. Cette espèce d’immunité dont jouissaient les étrangers à l’île de Cuba les attira en grand nombre. Avec eux s’introduisirent dans l’île les procédés nouveaux dont elle avait précisément besoin. L’agriculture fit un premier pas la charrue remplaça la pioche, la fonte et le fer battu prirent la place du bois dans les moulins à sucre. Les colons apprirent à ménager la force des animaux et des hommes, à doubler par l’économie les produits de la terre, à équilibrer ces produits avec l’augmentation des droits. Les moyens de transport furent aussi perfectionnés. Des chemins commodes, bien que grossièrement tracés, permirent de substituer les charrettes aux mules de charge. Bientôt même le concours de la marine vint épargner aux colons une partie de leurs frais de transport. La conformation de l’île est telle que, pour atteindre les principaux ports, la plupart des maîtres d’ingenios (sucreries) sont obligés de franchir, par terre, de longues distances, quoiqu’ils se trouvent partout à proximité de la mer. Des capitalistes conçurent la pensée de faire construire un certain nombre de navires qui, passant à jour fixe en face de chacune des habitations de l’île, s’arrêteraient dans les criques les plus favorables et les plus rapprochées pour y prendre les denrées d’exploitation que les colons auraient soin d’y faire déposer à l’avance. La route par terre se trouva ainsi abrégée. D’abord ces voyages furent effectués par des goélettes ; puis, la vapeur étant venue remplacer la voile, les transports s’opérèrent encore avec plus de rapidité et d’économie. Chacune de ces améliorations effrayait l’Espagne. La métropole, tremblant qu’un progrès si rapide n’amenât un jour la colonie à désirer son émancipation, redoublait à son égard de sévérité et d’arbitraire. On a vu comment, n’osant reprendre ouvertement ce qu’elle avait donné, elle avait essayé du moins de le ressaisir en détail ; mais elle avait beau faire, elle ne pouvait arracher les germes de vie intellectuelle déposés au sein de la population cubane par la réforme de 1818. À travers les protestations de l’autorité et des lois, cette population continuait sa marche forcée vers la richesse. Ainsi, lorsque le gouvernement de Madrid eut attenté à la marine de Cuba par la loi de 1834, lorsque le prix des transports maritimes eut augmenté par suite du droit imposé à ses navires, l’île songea à combattre le mal par un remède héroïque ; elle appela des ingénieurs étrangers et s’occupa sans balancer de tracer partout des voies de fer. La