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titre d’avocat, en dehors des études, des examens et de la thèse, coûte 500 piastres (2,500 fr.) à la Havane. Cette rigueur n’arrêta pas l’élan national ; un vaste institut, établi sur les plus larges bases, se forma des souscriptions réunies des principaux habitans de l’île. Trente chaires, embrasant toutes les branches des connaissances humaines, furent ouvertes aux jeunes gens de Cuba. Il y eut dans l’école des amphithéâtres de dissection et des ateliers de peinture, un conservatoire de musique et des conférences de droit national et étranger. On adjoignit à l’établissement un cabinet d’histoire naturelle, un salon de lecture, une salle de concert. La Havane eut enfin son orphéon et son cercle littéraire, qui réunissaient une fois par mois l’élite de la société créole pour lui faire juger les progrès de l’art et les productions de la littérature indigène.

Ces encouragemens donnés aux arts et aux lettres ne restèrent pas long-temps stériles. La littérature cubane, née d’hier, commence à rivaliser avec la littérature actuelle de la métropole. Il semble même que la langue espagnole, si riche déjà dans la Péninsule, se soit enrichie encore en traversant les mers. Une nature plus opulente que celle de l’opulente Andalousie se révèle dans la poésie havanaise. En lisant les pages harmonieuses de Valdes, de Palma, surtout celles de l’infortuné Placido[1], on ne peut s’empêcher de regretter qu’un plus grand nombre d’insulaires ne s’abandonne pas à ces rêveries qui reflètent si mélancoliquement le ciel et l’océan doré des tropiques ; mais les Cubanes préfèrent le drame à l’élégie. La muse havanaise aime à se produire sur le théâtre ; elle excelle à peindre les mœurs, à stigmatiser les ridicules, à rendre les habitudes et le langage pittoresque des diverses classes de la société. Le catalogue des comédies et des saynètes indigènes est déjà fort long, et, parmi les maîtres de cette école naissante, plusieurs l’emportent peut-être en originalité et en verve comique sur les auteurs modernes les plus admirés de l’Espagne. A côté du Pelo de la Dehesa, on peut encore applaudir el Tio ciego, cette charmante satire des mœurs des colons. On se tromperait toutefois si l’on croyait que le génie cubane n’enfante que des œuvres légères, destinées tout au plus à charmer quelques heures d’oisiveté. La pente de l’esprit créole l’entraîne plus naturellement vers les études sérieuses de la jurisprudence, de la philosophie et de l’économie politique. Chacune de ces branches des connaissances humaines a dans l’île des représentans et des organes que ne renieraient point les nations les plus civilisées de l’Europe. Les Armas, les Saco et plusieurs autres ont assez montré qu’en fait de science politique la colonie pouvait au besoin donner des leçons à la métropole.

  1. Placido était un mulâtre ; il fut impliqué dans la conjuration de 1843, et condamné à mort par un conseil de guerre. L’île entière intercéda vainement en sa faveur. Ce n’est qu’avec attendrissement que les Cubanes prononcent le nom du plus original de leurs poètes.