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Toutes les libertés qu’il est possible aux peuples d’arracher par surprise à l’indolence d’une autorité plus inerte encore que rétrograde, les Cubanes les ont emportées successivement d’assaut. La liberté civile et la liberté politique seules leur manquent encore. Celles-là, lorsqu’elles ne sont point octroyées par les gouvernemens, ne viennent qu’à la suite des révolutions. Or, la population de Cuba ne peut pas faire de révolution ; le désordre serait sa perte ; un danger continuel la menace, danger que les développemens de son opulence n’ont fait qu’accroître, que les dissensions intestines rendraient plus imminent et plus terrible, et contre lequel l’ordre et la tranquillité peuvent seuls lutter avec avantage. Nous voulons parler de cette immense population d’esclaves, que la traite n’a cessé d’augmenter que depuis peu, malgré les récriminations de l’Angleterre, les sermens hypocrites de l’Espagne et les protestations de ceux même qui les achetaient à Cuba. Les Cubanes furent, en effet, les premiers dans les domaines de l’Espagne à protester contre la traite. Ce qui les y poussait, c’étaient autant les sentimens d’humanité développés en eux par le progrès des lumières que ce désir qu’ils nourrissent d’arracher un jour à l’Espagne les libertés qui manquent encore à la consécration de leurs franchises commerciales. C’est l’esclavage, nous l’avons dit, qui leur défend de songer à la conquête violente de la liberté civile et politique. Le gouvernement espagnol sent, comme eux, que l’émancipation complète de sa colonie rencontre là son plus sérieux obstacle. Avant ces dernières années, malgré ses traités formels avec la Grande-Bretagne, il n’a jamais défendu la traite que par des ordres à double sens que ses agens interprétaient toujours de la manière la plus favorable à leurs intérêts. Le tarif promulgué clandestinement par les capitaines-généraux pour l’introduction des esclaves noirs n’est aujourd’hui un secret pour personne.

On vient de voir par quelle série de raisons les Cabanes furent conduits à déplorer le commerce des esclaves et à désirer l’extinction de l’esclavage ; voyons comment ils s’y sont pris pour préparer sans danger l’émancipation des nègres et pour encourager la colonisation blanche. Dans l’île de Cuba, les chaînes de l’esclavage sont trop légères pour qu’on puisse admettre que les noirs cherchent d’eux-mêmes à les secouer. Il faut rendre cette justice au caractère des colons espagnols, aucun peuple d’origine européenne ne s’est montré si doux et si humain envers la race noire. Peut-être l’Espagnol doit-il à son contact prolongé avec les Maures les coutumes patriarcales qui font chez lui de l’esclavage une extension du lien de famille. Pour le colon de Cuba, le nègre est bien plus le serviteur biblique que le prisonnier de guerre des Romains ; mais, s’il n’est pas à redouter que les nègres de Cuba puisent dans le désespoir qui naît des mauvais traitemens le courage de la révolte, il y a tout à craindre de la jalousie de l’Angleterre et de