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un seul point du système colonial. Au point de vile de notre industrie et de notre commerce, n’est-ce pas une erreur bien déplorable que celle qui consiste à offrir à quelques îles un marché de trente-cinq millions d’habitans en échange des faibles débouchés qu’elles présentent[1] ?

Au point de vue moral, le contraste entre nos colonies et Cuba n’est pas moins frappant qu’au point de vue matériel. Le créole de Cuba se montre doux et humain vis-à-vis de son esclave : est-ce par de telles qualités que se distingue le planteur de nos colonies ? Les discussions récentes qui se sont engagées dans les chambres à propos des pétitions pour l’abolition de l’esclavage ne nous ont que trop révélé les odieux mystères de cette vie créole, qui s’efforce en vain de se couvrir des brumes de deux mille lieues d’océan ; nous n’essaierons pas de soulever une seconde fois le voile qui la couvre. — A Cuba, les habitans sollicitent inutilement le gouvernement espagnol de leur venir en aide dans leurs projets d’affranchissement ; ils implantent de leurs propres deniers dans l’île une population blanche et libre ; ils améliorent d’eux-mêmes le sort de l’esclave, et lui ouvrent par leurs concessions les voies de la liberté. Notre gouvernement ne rencontre aux Antilles, à Bourbon, à Cayenne, qu’opposition et résistance à ses philanthropiques desseins. Magistrats et propriétaires se liguent pour déjouer ses efforts et combattre ses projets. — A Cuba, on compte déjà des villes entières d’ouvriers libres, créées sans la participation de l’autorité. Veut-on savoir combien le gouvernement français a établi de colons européens à la Martinique et à la Guadeloupe pendant le cours de l’année dernière avec le fonds de 120,000 francs créé en 1845 à cet effet ? Trois pour la première île et

  1. Qu’on nous permette de citer à ce sujet quelques lignes d’un homme qui a fait de cette question une étude spéciale. « Sans doute qu’en renonçant à notre régime colonial, nous perdrions tout d’abord une bonne partie des débouchés que nous offrent en ce moment les colonies ; mais il faut remarquer que ces débouchés sont fort restreints, et que, dans tous les cas, leur importance ne saurait augmenter, tandis que, si nous supprimions les droits différentiels établis sur les denrées coloniales, nous pourrions entrer en relations d’affaires avec toutes les contrées qui ont des produits de cette nature à échanger contre nos marchandises ; nous y trouverions de nombreux consommateurs, et notre commerce y prendrait chaque jour un accroissement que nous ne pouvons pas espérer voir se produire dans nos rapports avec nos colonies. Au point de vue de la marine, en réservant à notre pavillon, par l’effet de droits protecteurs, le monopole du transport des denrées coloniales, quelle que fût leur provenance, nous donnerions à nos bâtimens les moyens de se procurer à l’étranger des chargemens de retour, ce qui leur permettrait d’établir leur fret à un taux raisonnable. Ils pourraient alors prendre une meilleure part dans l’exportation de nos marchandises, tandis qu’aujourd’hui nous voyons souvent le tiers-pavillon venir s’emparer chez nous de chargemens qui, naturellement, devraient appartenir à nos navires. Ainsi, par exemple, qui transporte au Brésil nos vins du midi ? Ce sont les Sardes, qui, certains de pouvoir prendre au retour un chargement de sucre et de café, viennent à Cette offrir un fret beaucoup moins élevé que le nôtre. » - Réflexions sur la situation faite en France à l’industrie de la marine, par M. H. Magnier de Maisonneuve.