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chemins, à creuser des canaux, à améliorer le matériel et le moral de la civilisation. Enfin, si la terre coûte peu en Pologne, en Russie et en Moldavie, elle y coûte tout ce qu’elle vaut, et le prix est probablement en raison des facilités qu’on a pour la rendre féconde, ou pour en écouler les produits, une fois qu’on les a ramassés péniblement. C’est une question qu’il ne faut pas se hâter de résoudre contre nos pays de l’Europe occidentale, que celle de savoir si une civilisation naissante ou barbare, à population clairsemée, donne nécessairement le blé à plus bas prix qu’une civilisation avancée, à population dense. A moins que la nation ancienne et populeuse, dont nous supposons que l’agriculture soit savante, n’ait été poussée, par une législation restrictive, à la mise en céréales d’une très grande quantité de mauvaises terres, où les frais de production régleraient la moyenne générale du prix de vente, on trouvera que, eu égard aux ressources et aux facilités de tout genre qu’offrent une civilisation perfectionnée et une population nombreuse ce ne sont pas peut-être les vastes champs des pays arriérés ou les terres vierges des pays neufs qui ont décidément l’avantage. On a soutenu, en s’appuyant plutôt sur de vagues propos que sur des renseignemens précis, que tel seigneur de la Russie méridionale pouvait vendre son blé sur place à 4 francs. Je ne pense pas que le cas se soit présenté sur des proportions sérieuses, si ce n’est peut-être de la part des seigneurs obérés, forcés de vendre à tout prix : admettons pourtant que ce ne soit ni une vanterie de propriétaire ni une exécution de débiteur ; mais déjà, si, sur trois récoltes, il y en a une d’à peu près nulle, le prix de 4 francs est porté à 6. Or, j’ouvre le Cours d’Agriculture de M. de Gasparin, qui est un praticien consommé, et j’y lis qu’en France, avec une culture qui serait parfaite et dont le succès serait complet, en tenant compte de la rente de la terre (moyennant laquelle le propriétaire paierait l’impôt), le prix de revient de l’hectolitre serait à peine de 7 francs (exactement 6 francs 96 cent.)[1]. Nos meilleurs cultivateurs n’atteignent pas ce degré d’économie, mais ils en approchent à 3 ou 4 francs près. Si donc on cultivait très bien en France, le blé s’y tiendrait à un prix qui défierait le prix courant d’Odessa même, puisque ce prix courant est de 10 à 11 francs au moins. Il est vrai qu’avec la culture imparfaite que reçoit notre sol, presque partout le blé revient beaucoup plus cher que 10 ou 11 francs ; mais, si nos cultivateurs et nos propriétaires veulent avoir du soin, s’ils obéissent au précepte :

Travaillez, prenez de la peine,


l’excédant des frais de production du blé en France sera bien plus que compensé par les frais de transport, les déchets, les, commissions, le

  1. Cours d’Agriculture, tome III, page 665.