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s’il est peuplé d’hommes industrieux, et que le sol s’adapte bien aux céréales, le surplus des grains disponibles devra aller en augmentant. Lorsque la population et le capital se sont élevés à un certain niveau, cette progression se ralentit ; c’est que de grandes villes se forment, l’industrie manufacturière s’organise, et des classes ouvrières se mettent à pulluler, qui absorbent presque tout ce que l’agriculture nationale peut produire en sus de la subsistance des cultivateurs. Pour bien nous en rendre compte, au lieu de raisonner sur des élémens abstraits, nous tâcherons de prendre la nature sur le fait ; recherchons ce qui se sera passé avec la suite des temps dans quelque pays facile à étudier, et notamment aux États-Unis.


III.

C’est un fait attesté par l’histoire, que toutes les fois qu’un peuple qui est en croissance a atteint un certain point, la division du travail s’établit dans son sein à la faveur du capital amassé par l’agriculture. On avait commencé par se vouer exclusivement à travailler le sol ; on devient commerçant et manufacturier. Le progrès de la richesse porte au raffinement des mœurs ; on a plus de loisir, on s’est cultivé davantage soi-même. Les relations sociales acquièrent plus de charme ; on les recherche d’autant plus, on se réunit dans des cités qui acquièrent peu à peu les proportions de métropoles. Insensiblement la population agricole domine de moins en moins par le nombre. Le perfectionnement de l’agriculture et l’emploi des machines permettent à une moindre quantité de bras de retirer du sol une plus grande quantité de produits, ou avec le même nombre de bras on a, toutes choses égales d’ailleurs, une production plus vaste ; puis la population étrangère à l’agriculture se développe plus vite encore que la puissance productive moyenne du cultivateur. On s’achemine ainsi, avec lenteur sans doute, vers un balancement des professions qui a de l’analogie avec celui que présente la société anglaise, où les cultivateurs ne forment plus que le quart, pendant qu’en France ils vont actuellement à la moitié, et qu’aux États-Unis, il y a quarante ans, ils faisaient plus des neuf dixièmes. En même temps le pays, s’il a un territoire limité, réduit ses exportations en blé, puis il les cesse, et à la longue il finit par être forcé d’en importer, à moins qu’il ne consente à les payer un prix exagéré. Telle a été l’histoire de l’Angleterre, qui, il y a moins d’un siècle, était l’un des pays du monde d’où le froment s’exportait le plus régulièrement, qui ensuite, de 1770 à 1790, se suffisait à peu près, balançant les importations d’une année par les exportations d’une autre, et qui aujourd’hui est devenue le principal centre vers lequel de toutes parts on dirige les excédans qu’on a de cette denrée. L’histoire des