Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/921

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

accroître nos armemens. Les traditions du baron Portal, qui considérait 60 millions comme un budget normal de la marine, étaient respectées, et, à l’expiration de 1838, nous n’étions qu’à 72 millions. En 1839, nous sommes montés à 80 ; en 1840, à 98. 1841 et 1842 nous ont ramenés, à quelques millions près, aux budgets de 1803, 1804 et 1805. De ce chiffre élevé, nous étions un instant revenus à 120, au double du budget-type du baron Portal, mais actuellement nous voilà remontés au niveau de l’époque où Napoléon se préparait énergiquement à une action décisive dont le prix devait être l’empire des mers. Nous aurons dépensé en 1847 les 145 millions de la période close à Trafalgar. Nous sommes les seuls en Europe qui, depuis 1830, ayons fait subir de pareils accroissemens à notre état militaire.

Cependant voici qu’une circonstance se présente où l’amour de l’économie s’empare violemment des pouvoirs publics. La commission du budget prend la ferme détermination de réduire les dépenses de l’état. Sans doute on va porter la hache dans cet échafaudage élevé par l’esprit guerrier depuis qu’on l’avait laissé s’impatroniser au milieu de notre société pacifique. On va réduire le budget de la guerre au moins à la dépense de l’année d’Austerlitz. On signifiera au gouvernement que l’Algérie doit cesser d’être un chancre financier, et que, pour contenir une population de deux millions d’Arabes, sans rien faire pour la colonisation, il faut qu’il se contente de moins de 100,000 hommes et de 100 millions. Pour ce qui est de la marine, la commission du budget, d’une voix courageuse et ferme, va dominer les vaines clameurs de quelques patriotes fougueux qui se sont persuadés que la France pouvait reprendre l’empire des mers, et qui ont fait accroire à la multitude qu’il était possible d’être une grande puissance maritime quand on n’avait qu’une petite marine marchande. Assurément donc on va couper court à nos essais de colonie dans l’Océanie, réduire à la plus simple expression l’appareil dispendieux imaginé pour remplacer le droit de visite ; de même on soumettra à un jugement nouveau la loi des 93 millions de supplément à la marine. De tout cela, il n’est pas question. Le grand mot d’économie a été prononcé, il est devenu le mot d’ordre. Nous n’en garderons pas moins, avec notre politique de paix, un budget de la guerre tel que pourrait le désirer une puissance à la veille d’entreprendre la conquête de l’Europe : nous n’en rabattrons pas même un seul des régimens ajoutés en 1840. L’Algérie ne cessera pas d’occuper cent mille hommes et de nous coûter 100 millions pour ne pas coloniser. Nous persévérerons dans notre judicieuse poursuite de ravir à Albion l’empire des mers, et de nous faire une marine militaire autrement qu’en instituant une bonne marine marchande. Nous conserverons religieusement nos possessions de l’Océanie, dussent-elles demain nous susciter, comme hier, un cas de rupture avec l’Angleterre. La