Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/95

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce petit cadavre était navrant. Les fleurs, les bijoux qui le couvraient, loin d’ôter à la mort sa lugubre solennité, ne faisaient que la rendre plus hideuse. Tel était l’asile que je devais à l’ingénieuse sollicitude de Perico.

Un silence général suivit notre entrée. Un homme, dans lequel j’eus bientôt reconnu le maître de la maison et le père de l’enfant mort, se leva pour nous recevoir. Son front, loin d’être chargé de tristesse, semblait au contraire rayonner de contentement, et ce fut d’un air d’orgueil qu’il nous montra les nombreux hôtes réunis pour célébrer avec lui la mort de son fils, regardée comme une faveur du ciel, puisque Dieu avait daigné rappeler à lui le jeune enfant avant l’âge de raison. Il nous assura que nous étions les bienvenus dans sa maison, et que pour lui, en un jour semblable, les étrangers devenaient des amis. Grace à la loquacité de Perico, j’étais devenu le point de mire de tous les regards. J’avais un personnage difficile à remplir, Perico ayant cru devoir affirmer, à tous ceux qui voulaient l’entendre, qu’il était impossible de tuer les gens de meilleure grace que je ne l’avais fait. Pour m’élever à la hauteur de mon rôle, je me hâtai de mettre mes gants dans ma poche et d’affecter une assurance cavalière, persuadé qu’il était prudent de hurler avec les loups.

— Que pensez-vous du gîte que je vous ai trouvé ? me demanda Perico en se frottant les mains ; celui-là ne vaut-il pas mieux que celui que je pouvais vous offrir ? En outre, vous saurez maintenant ce qu’on appelle un velorio. C’est une ressource dans les soirées de tristesse ou de désœuvrement. Grace à moi, vous acquerrez ainsi des titres à la reconnaissance éternelle de ce digne père de famille, dont l’enfant, mort avant l’âge de sept ans, est maintenant un ange dans le ciel.

Et Perico, jaloux sans doute de s’assurer aussi une part dans ce tribut de gratitude, s’empara sans façon d’un énorme verre de chinguirito qu’il vida d’un trait. J’étais pour la première fois témoin de cette coutume barbare qui ordonne à un père de famille d’étouffer ses larmes, de dissimuler ses angoisses sous un front riant, de faire les honneurs de chez lui au premier vagabond qui, sur le renseignement d’un sereno, vient se gorger de viandes et de vins devant le cadavre de son fils, et partager des largesses qui souvent condamnent le lendemain toute une famille à la misère. Une fois que l’orgie, un moment troublée, eut repris de plus belle, je retrouvai un peu de calme, et je me mis à jeter les yeux autour de moi. J’aperçus alors, au milieu d’un cercle empressé de ces femmes qui se font un devoir de ne jamais manquer une veillée des morts, un front pâle, une bouche qui essayait de sourire malgré des yeux pleins de larmes, et, dans cette victime d’une superstition grossière, je n’eus pas de peine à deviner la mère, pour laquelle un ange dans le ciel ne remplaçait pas l’ange qui lui manquait sur la