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terre. Parmi les commères qui se pressaient autour d’elle, c’était à qui redoublerait par les plus maladroites importunités l’affliction de la pauvre femme. L’une racontait les phases de la maladie et des souffrances du jeune défunt ; l’autre énumérait les remèdes infaillibles qu’elle aurait appliqués, si on l’avait consultée à temps, tels que les emplâtres de saint Nicolas, les moxas, la vapeur du pourpier cueilli un vendredi de carême, les décoctions d’herbes filtrées dans un morceau du froc d’un dominicain, et la pauvre mère crédule se détournait pour essuyer ses larmes, bien convaincue que ces remèdes auraient en effet sauvé son enfant. Le vin de Xérès, les cigarettes se succédaient rapidement pendant ces consultations ; puis on proposa et l’on mit en pratique tous les jeux innocens en vogue dans l’Amérique espagnole, tandis que des enfans, succombant à la fatigue, s’étendaient pour reposer dans tous les coins de la salle, comme s’ils eussent envié le sommeil de celui dont le front décoloré protestait, sous ses fleurs flétries, contre cette odieuse profanation de la mort.

Retiré dans l’embrasure épaisse d’une des croisées qui donnaient sur la rue, je suivais des yeux avec assez d’inquiétude tous les mouvemens de Perico. Il me semblait que cette protection qu’il m’avait imposée par surprise devait cacher quelque embûche. Ma physionomie devait trahir mes préoccupations, car le lépero s’approcha de moi et me dit en forme de consolation :

— Voyez-vous, seigneur cavalier, il en est de tuer un homme comme d’autre chose ; il n’y a que le premier pas qui coûte. D’ailleurs, votre sereno fera peut-être comme mon Anglais, qui aujourd’hui se porte mieux que jamais. Ces hérétiques ont la vie si dure ! Ah ! seigneur cavalier, dit Perico en soupirant, j’ai toujours regretté de ne pas être hérétique.

— Pour avoir la vie dure ?

— Non, pour me faire payer mon abjuration. Malheureusement ma réputation de bon chrétien est trop bien établie.

— Mais ce cavalier que vous deviez tuer ? — demandai-je à Perico, me trouvant tout naturellement ramené au souvenir du mélancolique jeune homme que j’avais vu agenouillé devant la morgue, — croyez-vous qu’il vive encore ?

Perico secoua la tête.

— Demain peut-être sa folle passion lui aura coûté la vie, et sa maîtresse ne lui survivra pas. Pour moi, je n’ai pas voulu faire deux victimes à la fois, et j’ai renoncé à cette affaire.

— Ces sentimens vous honorent, Perico.

Perico voulut profiter de l’impression favorable que sa réponse venait de produire sur moi

— Sans doute… on n’expose pas ainsi son ame pour quelques piastres…