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I.

Ceux qui écriront dans cent ans l’histoire littéraire de ce siècle-ci ne pourront méconnaître, ce me semble, le caractère brillant et décidé de sa jeunesse. Nous en sommes assez séparés déjà pour marquer exactement les limites de ses diverses périodes et en indiquer avec certitude la physionomie générale. Il faut mettre à part la première époque, où apparaissent dans le lointain les grandes et mélancoliques figurés de René, de Chactas, de Corinne, époque de transition féconde, de préparation laborieuse, pendant laquelle on voit lutter encore les traditions du dernier siècle et les idées du siècle qui va naître. A quel moment ce siècle nouveau rencontre-t-il ce qui fait son originalité, ce qui lui constitue désormais une existence distincte ? Par quels travaux, par quels principes supérieurs a-t-il annoncé sa rupture avec l’ancien esprit ? Le XVIIe siècle produit le Discours de la Méthode presque en même temps que le Cid, avant Cinna, avant Polyeucte, avant les Provinciales, et c’est à dater de ce moment immortel que le XVIIe siècle a une physionomie si originale et si nette, c’est par là qu’il se sépare du siècle précédent, c’est par là qu’il rompt avec le passé et inaugure l’avenir. Toutes les compositions qui vont se succéder porteront l’empreinte ineffaçable de cette souveraine influence. Les méditations sublimes de la chaire sacrée et les chefs-d’œuvre du théâtre, les recherches de la métaphysique et les élégantes productions de la grace mondaine, tous les travaux enfin les plus différens seront unis ensemble par un lien manifeste, et ce lien, ce fonds commun de toutes les œuvres du XVIIe siècle, qu’est-ce autre chose que l’esprit même de ce temps, formulé avec la plus lumineuse évidence dans le Discours de la Méthode ? Nous n’avons pas notre Discours de la Méthode, mais nous avons eu des programmes bien sérieux aussi, des déclarations de droits très importantes, qui ont précédé le premier éveil de la poésie moderne et qui pourront bien encore la relever de son abaissement. Ce qui a remplacé pour nous le charmant et hardi manifeste de Descartes, ce sont les théories élevées qui sur tous les points ont agrandi l’horizon de nos idées et nous ont appris, avec l’impartialité historique, l’amour du genre humain. Nous ne pouvions cesser d’être le XVIIIe siècle, nous ne pouvions commencer à devenir nous-mêmes qu’à la condition de briser les barrières derrière lesquelles s’enfermait volontairement la pensée de nos aïeux. Appelés à détruire le passé, ceux-ci devaient le méconnaître ; et, comme c’était avec l’esprit de la France qu’ils attaquaient l’ancienne société, rien n’était plus naturel que leur dédain pour les littératures des autres pays. Cette méconnaissance du passé, ce dédain des littératures étrangères, ont fait la force du XVIIIe siècle et son triomphe définitif ; ne blâmons