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pas ces généreuses erreurs qui lui étaient ordonnées par la Providence. Cependant, ne l’oublions pas non plus, le jour où nous avons su profiter de la victoire, le jour où nous avons absous le passé, où nous avons compris et accueilli les littératures de nos voisins, le jour enfin où nous avons appliqué à tous les temps et à tous les pays ce grand amour de l’humanité qui était la passion de nos pères, ce jour-là un siècle nouveau commençait.

Ce mouvement ne s’est pas fait tout à coup ; il n’y a pas eu de rupture soudaine, éclatante, il n’y a pas eu de déchirement, mais des transformations successives dont je n’ai pas à tracer ici l’histoire. Toutefois, sans nier la généalogie des principes, on peut affirmer qu’il arrive un instant où ces principes deviennent plus forts, plus sûrs d’eux-mêmes, où les idées éparses se groupent, et composent désormais un ensemble nouveau qui mérite un nom particulier. N’est-ce pas de 1820 à 1825 que l’esprit du XIXe siècle a eu vraiment conscience de lui-même, c’est-à-dire que l’intelligence impartiale, la compréhension vive et complète, le sentiment profond des temps passés, le respect enfin et l’amour de l’humanité, sont devenus, en littérature comme en philosophie, l’idéal, la foi, la religion des ames d’élite ? Je crois que ce fait ne saurait être mis en doute. Les lettres d’Augustin Thierry sur l’histoire de France sont de 1820. M. Villemain montait dans sa chaire, M. Cousin voyageait en Allemagne et s’enthousiasmait de Hegel, M. Guizot écrivait sa Vie de Shakespeare, portant ainsi dans les questions de poésie et d’art cette vive lumière avec laquelle il allait renouveler l’histoire. Il y a bien d’autres témoignages que je pourrais invoquer ; je citerai seulement trois écrits dont la calme transparence réfléchit merveilleusement l’état de la pensée publique. Les beaux articles de Jouffroy, la Sorbonne et les philosophes, de l’État de l’humanité, Comment les dogmes finissent, résument avec une lumineuse netteté cette situation des choses et signalent l’avènement d’une époque toute nouvelle, Ce n’est pas là, encore une fois, notre Discours de la Méthode. Le génie original de Descartes avait tout tiré de lui-même, et, par ce sublime petit livre, il traçait aux écrivains de son temps une route régulière et hardie, que la plupart ont suivie sans le savoir : les manifestes de Jouffroy ne faisaient que mettre en lumière l’état des esprits et donner, avec une précision admirable, l’explication réfléchie de ce qui se produisait de tous les côtés à la fois. C’est déjà une gloire assez belle. L’historien qui racontera dans un siècle le développement de notre littérature ne pourra pas, je le sais bien, attribuer à ces nobles pages l’importance souveraine que réclame le livre de Descartes ; mais je ne pense pas me tromper en affirmant qu’il y verra, plus clairement que partout ailleurs, le jeune esprit du XIXe siècle, cet esprit qui déjà renouvelait tout, la philosophie, la poésie, la critique, et qui proclamait son droit.