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Le premier résultat de ce nouvel esprit fut de produire une activité ardente. La génération qui entrait dans la vie était sur le seuil des terres inconnues. Quel attrait dans une situation pareille ! quelles séductions ! quels encouragemens ! Il faut ajouter aussi : quels dangers ! Mais alors le danger n’arrêtait personne ; ce qui devait frapper les esprits, c’étaient moins les périls, inévitables assurément, d’une expédition aventureuse que tous les avantages de cette position unique. Or, ces avantages étaient immenses. Un champ nouveau, un sol vierge à labourer, les plus beaux monumens du passé offerts à l’étude intelligente, les uns révélés pour la première fois, les autres débarrassés des admirations convenues et hardiment interrogés d’une façon directe ; puis les littératures étrangères tout à coup dévoilées, le Nord et le Midi nous apportant leurs trésors ; les profondeurs mystiques des poésies septentrionales, l’élégance et la fermeté des imaginations du Midi, toutes ces richesses si curieuses, si attrayantes, déployées à profusion sous nos yeux, voilà d’abondantes ressources, voilà un grand foyer d’études, et où trouver, je vous prie, de plus puissantes excitations pour les tentatives courageuses ?

Certes, je le sais, les poètes qui se firent alors un nom n’avaient pas tous compris cette situation si féconde ; ils n’avaient pas tous embrassé, avec un amour réfléchi, avec une passion sérieuse, cette grande cause du renouvellement de l’art, et il s’en faut bien qu’ils aient aperçu distinctement l’idéal que je viens d’indiquer. Ce que les critiques et les philosophes, ce que les esprits sévères et ardens voyaient d’une vue claire, ils le sentaient d’instinct ; et ce but élevé, difficile, ce but suprême où ceux-ci tendaient régulièrement, ils s’y portaient à leur façon, avec la fougue des natures poétiques. On ne pourrait affirmer non plus, sans une grave erreur, que les poètes et les critiques fussent d’accord, ni que les hommes les plus pénétrés des sentimens du nouveau siècle se montrassent d’abord très sympathiques à l’école littéraire qui s’organisait. Cette mésintelligence tenait à plusieurs causes ; la principale était la crainte vague qu’inspiraient les novateurs et le peu de confiance qu’on avait dans leur attachement aux dogmes récemment proclamés. Quoi qu’il en soit, et malgré ce désaccord, il était permis alors de s’associer de cœur aux ambitions de la jeune école poétique ; on pouvait, sinon se confier avec certitude, espérer du moins, espérer sans trop d’illusions. Laissons-les faire, pouvait-on dire ; laissons-nous charmer par tant de verve, par tant de juvénile enthousiasme ; n’est-ce pas l’adolescence de ce siècle ? Oui, assurément, leur inexpérience est grande, ils ne paraissent pas savoir quelle est la vraie mission de ce temps, ils ne voient pas la mine vierge d’où un artiste laborieux arracherait des trésors, ils se laissent séduire étourdiment aux brillantes superficies ; qu’importe ? Ce qu’ils font, après tout, n’aura pas été inutile. Et puis ils grandiront, leur pensée mûrira ; ces maîtres, dont l’éclat ne