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intelligent du passé, il est armé et muni au complet pour son lointain pèlerinage. Les destinées presque infinies de la société régénérée, le tourment religieux et obscur qui l’agite, l’émancipation absolue à laquelle elle aspire, tout invite l’art à s’unir étroitement à elle, à la charmer durant le voyage, à la soutenir contre l’ennui en se faisant l’écho harmonieux, l’organe prophétique de ses sombres et douteuses pensées. » Il s’agissait, en effet, de maintenir les droits de l’imagination, malgré les tendances positives de la démocratie, de les étendre même, et d’opposer à l’action de l’industrie et de la politique les fêtes souveraines de la poésie. Or, la jeune société ne pouvait défendre l’art qu’en le marquant à son image. Elle voulut donc renouveler les trois grandes formes de l’invention poétique, l’ode, le roman et le théâtre. Au moment où nous sommes arrivés dans ce tableau, la réforme de la poésie lyrique était complète ; celle du roman commençait avec éclat, le théâtre attendait encore ; mais pourquoi aurait-on douté du succès ? La première période du siècle était à peine terminée.

Je ne fais pas une histoire et j’omets certainement bien des noms. Je n’ai rappelé ni l’ingénieux et passionné rêveur, le conteur tant regretté, à qui nous devons Trilby, Thérèse Aubert, la Fée aux miettes, ni le peintre énergique de Tamango et de Mateo Falcone. Ce qu’il importe d’indiquer surtout, c’est la physionomie générale de cette littérature nouvelle et le groupe déjà célèbre qui en représentait les directions diverses. Or, si quelque chose résultait manifestement de la situation des lettres, citait la richesse des élémens poétiques ; c’était l’abondance des talens, la croyance à l’art immortel ; c’était, en un mot, la jeunesse enthousiaste de cette poésie du XIXe siècle. Il y avait là de quoi couvrir et absoudre bien des fautes. Et puis, toutes les fautes alors n’étaient-elles pas des fautes littéraires ? On pouvait rencontrer de mauvais systèmes, de fausses théories : les théories mauvaises auraient été détruites, le travail aurait éclairé les esprits les plus rebelles. Peu à peu, en effet, le bien se dégageait du mal ; on marchait, on s’avançait visiblement. Goethe, avant de mourir, avait salué de loin l’école française, et il semblait y voir l’aurore d’une grande époque. J’ai toujours été vivement ému quand j’ai lu, çà et là, dans maints ouvrages du poète de Weimar, dans sa correspondance, dans les notes de son journal, tout ce que lui dicte sa sollicitude pour le mouvement littéraire de la France. Le sentiment de Goethe pouvait être partagé par les esprits les plus sévères, Pour ma part, si je ferme les yeux, si j’oublie ce qui s’est fait depuis bientôt dix ans, si, effaçant de mon souvenir les plus récentes jours voir cette brillante génération, confuse, indisciplinée, mais riche, ardente, et qui d’heure en heure se développe, Elle marche, elle a des ambitions généreuses, et il est permis de croire qu’elle va cueillir