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XVIIIe siècle a eu dans sa mission une confiance singulièrement hardie ; il s’est proclamé le siècle des lumières : qui oserait l’en blâmer, si cette foi a renouvelé le monde ? Eh bien ! dans ces années d’exaltation fervente, les écrivains les plus orgueilleux ont-ils jamais oublié d’emprunter leurs forces aux croyances qu’ils défendaient ? Ont-ils substitué à ce grand idéal qui les soutenait tous leurs vanités, si vives pourtant, et leurs mesquines ambitions personnelles ? Voltaire, Rousseau, Diderot, en leurs plus mauvais jours, se sont-ils attribué une puissance qui ne fût pas celle de leur époque même ? Je ne le crois pas. On n’avait pas encore imaginé qu’un écrivain digne de ce nom pût se dispenser d’écrire avec son ame ; les idées étaient maîtresses, et l’on était grand ou petit, selon qu’on les servait avec plus ou moins de talent et de bonne volonté. Il faut être fier de son temps, et, depuis trois siècles, l’humanité émancipée est si grande, le travail des esprits est si rapide, il y a tant de compensation aux misères dont on se plaint, que c’est toujours un devoir, même aux heures de crise, de sentir en soi cette légitime et reconnaissante fierté. Il faut être fier de son temps et modeste pour soi ; il faut participer à la vie générale, et échapper par là à cette adoration de soi-même qui a perdu tant d’honnêtes gens. Quand les écrivains d’aujourd’hui célèbrent la grandeur du temps où nous vivons, ils sont dans le vrai ; ils s’égarent, quand ils oublient de se demander quelle est cette grandeur et comment ils la peuvent servir. Vos belles paroles ne sont que de vides déclamations et non une foi positive. Comment aimeriez-vous les idées de votre époque, ne les connaissant même pas ? Vous n’aimez que votre personne ; l’esprit de ce siècle s’est retiré de vous.

Certes on ne veut pas méconnaître ici l’indépendance de l’art. L’imagination est souveraine, et, quand elle s’enrôle sous les drapeaux d’un système philosophique ou d’une théorie sociale, ce n’est pas une mésalliance, c’est une abdication. La critique qui demande à la poésie le sacrifice de sa liberté n’est pas une critique sérieuse. Pourtant il faut s’entendre, il faut savoir ce que signifient exactement ces formules si retentissantes : l’indépendance de l’art, la liberté de l’inspiration poétique. Une parole vraie, mal interprétée, peut devenir une immense hérésie. L’art est libre ; la poésie, si elle se met au service d’un système, ne doit pas subir des conditions qui la détourneraient de son propre idéal ; en d’autres termes, l’art a un but, et ce but, c’est la beauté. Mais quel est, je vous prie, le véritable élément de la beauté poétique ? Ce n’est assurément ni la reproduction de la réalité vulgaire, ni la forme ou la couleur qui amusent les yeux. Tout cela sans doute a une valeur ; ce sont des moyens dont il faut tenir compte ; ce n’est point l’élément essentiel de la beauté. Cet élément, vous ne le trouverez pas davantage dans les singularités qui étonnent l’esprit, ou dans les émotions qui agitent les sens. Le principe fondamental du beau, c’est la