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Il lui raconta alors qu’il les avait vu conduire à la guillotine. Renée, qui n’avait que seize ans, pleurait un peu et avait peine à marcher ; mais Perrine la soutenait et lui parlait tout bas pour l’encourager à quitter la vie sans y regarder. Quand le moment de monter l’échelle était venu, elle l’avait aidée et s’était présentée la dernière, afin de lui ôter l’horreur de sa mort. Enfin, son tour arrivé, on l’avait vue marcher vers le couteau comme elle fût entrée à l’église, et, avant qu’il tombât, elle avait jeté deux cris : Vive le roi ! et vive mon frère Chouan ! — Miélette s’était alors précipité vers l’échafaud avec la foule, et avait trempé dans le sang des deux sœurs un mouchoir qu’il apportait à Jean.

Celui-ci avait écouté le récit de Miélette sans rien dire ; il le remercia d’un mouvement de tête, prit le mouchoir, le regarda quelque temps, puis le cacha dans son sein, où on le retrouva plus tard. Du reste, il ne pleura point ; mais, à partir de ce jour, personne, me dit Va-de-bon-Cœur, ne le vit sourire, ni prononcer un mot, à moins d’y être forcé. Il refusa de se rendre à l’assemblée des insurgés du Bas-Maine et ne voulut prendre part à aucune des expéditions proposées.

— Il ne faut pas que les autres marchent dans mon malheur, répondait-il à ceux qui lui reprochaient ces refus. Enfin, s’étant arrêté un jour avec ses gens dans la ferme de la Babinière, ils y furent surpris par un détachement de bleus qui les mit en fuite. Jean s’était lui-même échappé, lorsqu’il entendit la femme de René qui l’appelait à son secours. Il revint aussitôt sur ses pas, l’aida à franchir un fossé et fit face aux républicains pour lui donner le temps de fuir. Tous les coups se trouvèrent ainsi dirigés sur lui, et il tomba frappé de plusieurs balles. Il eut pourtant encore la force de se traîner jusqu’au taillis, où ses compagnons le retrouvèrent. On le plaça sur un drap porté par les quatre coins et on le ramena au bois de Misdon. Il y vécut jusqu’au lendemain, et profita de cette prolongation d’agonie pour raffermir ses compagnons, leur désigner son successeur, donner à chacun des conseils et des consolations. Il y eut dans ces derniers adieux quelque chose de si calme, de si noble, de si désintéressé de la terre, que le vieux Va-de-bon-Cœur n’en parlait qu’avec une voix émue. — Ça doit être comme ça que meurent les saints, me dit-il en terminant.

Les compagnons de Jean craignirent de voir renouveler sur son cadavre les profanations commises sur celui de François, et l’enterrèrent dans l’endroit le plus écarté du bois. L’herbe fut d’abord soigneusement enlevée, une fosse de six pieds creusée, puis la terre remise et foulée à mesure, de peur que quelque abaissement dans le sol ne trahît plus tard la sépulture. Enfin le gazon fut replacé, arrosé avec soin et recouvert de feuilles mortes.

Ainsi finit cet homme extraordinaire, qui donna son nom à une