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dit Rama, il n’y a rien de plus grand que d’obéir à un père. » Rama exhorte le sien à tenir religieusement cette promesse dont lui-même est victime, et, en donnant ce conseil désintéressé, il songe encore à ne pas sortir de l’attitude d’un fils soumis. « C’est un avis que je te donne, ô mon père ! dit-il, ce n’est pas une leçon. » Voilà une réserve et une mesure de langage bien délicate qui relève singulièrement, ce me semble, l’héroïsme du sacrifice.

Ce que l’affection fraternelle a de plus vif éclate dans les impétueux discours d’un jeune frère de Rama, qui est prêt à combattre les hommes et les dieux, pourvu que Rama soit élevé au trône. « Dis-moi quel ennemi je dois frapper, » s’écrie-t-il. Puis, ramené par son magnanime frère à des sentimens plus doux, le jeune homme reprend avec une tendresse charmante : « Et moi aussi j’habiterai dans les forêts, attentif à t’obéir ; moi aussi j’abandonnerai cette cité que tu abandonnes, car sans toi il me serait pénible de vivre même dans le ciel. Si tu m’aimes, ô noble frère ! ne me défends pas de te suivre ; tandis que tu iras dans la solitude errant de forêt en forêt, je t’apporterai des fleurs et de doux fruits, je serai ton compagnon et ton esclave. »

Quant aux rapports des époux, ils sont indiqués dans le Ramayana d’une manière très précise. Le mari est le dieu de la femme et son asile ; la femme participe à la félicité ou au malheur qui, dans la suite des existences, résulte des actes du mari. La femme doit être l’ombre qui accompagne constamment son époux, le suivant quand il marche, s’arrêtant quand il s’arrête ; l’âme de l’une est unie à l’âme de l’autre, et la mort même ne les séparera pas. « Comme sans corde la lyre ne peut résonner, ni sans roue tourner le char, ainsi, sans son mari, la femme ne saurait être heureuse, quand elle serait mère d’une noble race. Le père donne la joie avec mesure, avec mesure la mère, avec mesure le fils ; l’époux seul donne à l’épouse une joie sans mesure. »

Il n’y a pas tout-à-fait égalité dans le rôle et le dévouement des époux. Rama montre certainement une mâle tendresse pour Sita ; mais il n’hésite pas à dire que, si son père l’exigeait, il serait prêt à abandonner à un frère préféré, non-seulement l’empire, mais toutes ses richesses, son épouse et sa vie. La femme est donc comme une propriété de l’homme, comme une partie de lui-même qu’il chérit, ainsi qu’il chérit ses biens et sa vie, et qu’il sacrifierait aussi aux suprêmes commandemens de l’autorité paternelle. La mère ne doit être obéie qu’après le père. Rama le rappelle respectueusement à la sienne. Ainsi la paternité, base de l’existence de la famille, est le fondement moral de cette antique société.

Le Ramayana est au moins autant une peinture de la religion que de la société, car, dans le poème indien comme dans l’Inde elle-même, la religion est toujours sur le premier plan, et, sous ce rapport aussi, ce