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dissemblances qui tiennent au génie des peuples, sauf surtout les proportions de l’un et l’autre Olympe, proportions aussi différentes que le cours de l’Ilissus et le cours du Gange.

L’allégorie, qui est une chose à la fois très antique et très moderne, figure dans le Ramayana ; elle figure aussi dans l’Iliade. Personne n’a oublié la belle allégorie des Prières. Les allégories du poème indien ne sont pas si gracieuses, mais elles sont d’une singulière hardiesse. Avant que le Danois Baggesen eût personnifié le vertige, Valmiki avait donné pour arme à Rama la fascination, et Cartikeia, dieu de la guerre, a pour nourrices des lances, qui l’allaitent de sang.

On sait que le brahmanisme s’est partagé en plusieurs sectes, dont les principales sont la secte de Vichnou et la secte de Siva, chacune ayant élevé le dieu qu’elle préfère au-dessus de tous les autres dieux, sans en excepter Brahma lui-même. L’opposition de ces sectes rivales, partout manifeste dans les Pouranas, auxquels elle a en partie donné naissance, n’est point encore nettement prononcée dans le Ramayana. Le poème est surtout vichnouite, puisque Rama est une incarnation de Vichnou. D’autre part, il y est parlé d’un jour où Siva, le dieu des dieux, a renversé toutes les divinités sous ses traits victorieux. Siva est donc aussi proclamé comme un dieu tout puissant. La lutte qui s’est élevée entre ses adorateurs et ceux de Vichnou n’était pas déclarée, et l’opposition des deux sectes n’était pas encore complètement dessinée à l’époque où fut composé le Ramayana.

Une autre marque d’antiquité, ce sont les sacrifices sanglans et même les sacrifices humains abolis depuis long-temps dans les grands centres de la religion brahmanique, mais qui existent encore aujourd’hui chez quelques populations de l’intérieur, et que les efforts des Anglais ne sont pas parvenus à abolir entièrement.

Le Ramayana, qui présente un tableau fidèle des idées indiennes, nous fait connaître l’opinion qu’on avait dès-lors et qu’on a encore aujourd’hui des prérogatives attachées à l’état de brahmane, des mérites, de l’austérité, de la toute-puissance des macérations au moyen desquelles un solitaire peut s’élever jusqu’aux trônes célestes à force de pénitence, et, par un étrange droit de conquête, déposséder les dieux et les remplacer. Cette puissance se manifeste encore autrement et par des prodiges bien étranges. Les mérites de la pénitence sont si grands, que celui qui les possède acquiert le pouvoir de créer des mondes. Le sage Visvamitra, par l’énergie de sa pénitence, a déjà augmenté le nombre des astres ; poursuivant son œuvre, il va créer de nouveaux dieux et un nouvel Indra (Indra est le chef de l’Olympe indien), quand les habitans du ciel, qu’épouvante la terrible puissance de l’ascète, entrent en pourparlers et en arrangement avec lui. C’est que les personnages divins eux-mêmes ne peuvent résister à la toute-puissance que les solitaires pui-