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Sous le régime constitutionnel, les majorités sont un instrument puissant aux mains des hommes du pouvoir. Quand pour eux le plus difficile est de vivre, le plus important de durer, ils ont raison de les employer avant tout comme des armes défensives contre leurs adversaires ; mais, le péril une fois passé et les circonstances changées, ils doivent savoir s’en servir comme d’une force utile à l’exécution de leurs desseins. Sans doute ce gouvernement d’une majorité veut des mains exercées et énergiques, sans doute il est malaisé de conduire suivant ses vues, d’employer à ses fins une assemblée d’hommes d’élite qu’il faut se donner la peine de convaincre, dont il ne faut ni heurter l’indépendance, ni blesser l’amour-propre ; mais cette tâche serait-elle glorieuse si elle était facile ? En ce qui regarde la majorité actuelle, elle n’avait rien d’impossible, car cette majorité ne s’est jamais parée d’une fausse indépendance. Le reproche le plus grave qu’au fond de son cœur elle n’a jamais cessé d’adresser au cabinet, n’est-il pas de n’avoir pas su la gouverner ?

N’avoir pas su gouverner cette majorité, tel est bien le tort réel du cabinet. En effet, gouverner ce n’est pas pourvoir tant bien que mal à la besogne de chaque jour, ce n’est pas apporter aux chambres un certain nombre de projets plus ou moins bien élaborés, et qui concordent ou ne concordent pas entre eux ; gouverner, c’est embrasser d’un coup d’œil l’ensemble d’une situation, en découvrir le fort et le faible, c’est avoir un système pour réparer et pour améliorer ; gouverner, c’est vouloir ; gouverner, c’est agir, c’est aussi faire les choses à propos et d’une façon qui les fasse valoir, c’est enfin savoir parler au besoin à l’imagination des peuples.

Supposons que le ministère se fût fortement constitué en mettant à sa tête un de ses membres chargé d’assurer son unité, avant l’autorité suffisante pour donner l’impulsion, n’est-il pas probable que les projets de loi importans qui devaient défrayer la session seraient venus en temps utile donner un aliment indispensable à l’activité des esprits ? Supposons qu’au lieu d’avoir été préparés dans le cabinet particulier de chacun des ministres, suivant ses idées et sous sa responsabilité personnelle, chacun de ces projets, par sa rédaction, par son exposé des motifs, eût porté l’empreinte d’une délibération et d’une volonté commune ; supposons enfin qu’ils eussent été offerts aux amis et aux adversaires comme des solutions parfaitement arrêtées, se rattachant à des systèmes précis sur lesquels le cabinet tout entier était tombé d’accord et qu’il soumettait à l’appréciation des pouvoirs publics, alors, n’en doutons pas, la chambre des députés n’aurait pas langui dans cette fâcheuse oisiveté qui a suivi les débats de l’adresse ; alors n’auraient pas surgi tant de propositions individuelles ; se fussent-elles produites, les ministres en auraient eu facilement raison.

Beaucoup de personnes ont pensé que le gouvernement avait été