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en serons-nous ? Non, il n’y a rien de pareil dans l’histoire du genre humain, depuis la Genèse jusqu’à nos jours : un peuple de huit millions d’individus nourris par un autre ! Souvenez-vous, représentans de l’Angleterre, que vous allez bientôt comparaître devant la nation, et qu’elle vous demandera des comptes terribles. »


La motion de M. Roebuck ne pouvait avoir et n’eut aucune suite ; on ne pouvait songer sérieusement à imposer l’income-tax à des gens déjà ruinés. M. Roebuck n’avait voulu que placer un de ces discours anti-irlandais et monter l’opinion publique. Du reste, il y réussissait ; ces harangues passionnées, secondées par les sorties quotidiennes du Times, ne laissaient plus au ministère d’autre ressource que de céder. Il céda en effet. Lord John Russell vint annoncer positivement que les secours aux indigens valides seraient compris dans la loi, et en réponse aux dénonciations de M. Roebuck il déclara que les grands propriétaires d’Irlande qui faisaient partie du cabinet étaient les premiers à proposer cette clause du bill, et qu’il faisait cette déclaration en leur nom. En vain les Irlandais sacrifiés tentèrent-ils un dernier effort auprès du gouvernement. Une députation se présenta chez lord John Russell avec une protestation contre le bill signée par soixante-quatre pairs et quarante-trois membres irlandais des communes. Le premier ministre leur fit cette question terrible : « Avez-vous quelque chose à proposer à la place ? » Ils restèrent silencieux ; leur sentence était prononcée. Ils le sentirent ; ils abandonnèrent la lutte dans la chambre des communes, et le 19 mars la clause tant redoutée fut, au milieu d’un excessif tumulte, votée à une majorité de 242 voix contre 36.

La fin du carême de 1847 fut signalée par une cérémonie assez anglaise. La reine ordonna un jeûne général et national pour apaiser la colère divine qui frappait si cruellement la terre. Un jeûne pour remède à la famine, c’est ce qui fut appelé assez spirituellement de la médecine homœopathique. Ce fut une chose très curieuse que la manière dont cet acte de pénitence fut accueilli par la presse et par le public. Le Times, par exemple, prit la chose très au sérieux, et la justifia, du reste, par d’excellens raisonnemens. C’est ainsi qu’il disait :


« La calamité qui nous a frappés est sans doute l’œuvre de Dieu, en tant qu’elle a détruit toute une récolte ; mais c’est évidemment aussi l’œuvre de l’homme, en ce que c’est à l’imprévoyance, à l’aveuglement, à la négligence de l’homme que nous la devons. Le ciel donne l’abondance et la prospérité à la prévoyance et à la prudence. Une pareille calamité en présence de tant d’avertissemens, est un crime national. L’empire tout entier a sa part dans l’oppression et l’incurie honteuse qui ont laissé des millions d’hommes partager la nourriture, les habitations et les mœurs des porcs. Cette riche et puissante nation, qui se vante d’être à la tête de la civilisation et de la religion, elle a permis qu’à