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de la moitié de la ruine des propriétaires irlandais ; mais c’est impossible. Il est physiquement impossible que la terre d’Irlande suffise à l’entretien des pauvres. La somme d’indigence qui serait dès aujourd’hui même jetée par la loi nouvelle à la charge de la propriété serait plus que le revenu tout entier du pays ne pourrait porter, à tel point que, quand même la terre serait offerte pour rien, avec la seule condition du paiement de la taxe, personne n’en voudrait. Le gouvernement ferait mieux de confisquer d’un seul coup tous les biens des propriétaires irlandais, de les prendre pour lui-même et de faire sur le trésor, aux propriétaires dépossédés, des pensions suffisantes pour les entretenir pendant le reste de leur vie. La terre ne vaudrait plus rien. La proposition à résoudre serait celle-ci : la possibilité d’entretenir un nombre donné d’oisifs sur un certain espace de terrain, ce terrain étant un désert… L’expérience que vous allez tenter est une des plus aveugles que l’on ait jamais pu imaginer. Vous ne pourrez pas même y renoncer, si elle ne réussit pas ; vous vous engagez dans une voie sur laquelle il n’y a pas de retour possible. Arrêtez-vous avant de commencer le facilis descensus d’où l’on ne revient pas, car une fois que vous aurez déclaré qu’en Irlande tout homme valide qui sera indigent ou voudra se dire tel, et sera sans emploi, aura droit à un secours légal, vous en verrez aussitôt doubler le nombre. Une fois dans cette voie, vous ne pourrez pas vous arrêter avant d’avoir absorbé le revenu entier du pays, et alors vous aurez des jacqueries, des insurrections, des soulèvemens des masses, jusqu’à ce que la législature, honteuse et repentante, se voie forcée de rétrograder, si elle le peut, après avoir passé deux fois la mesure de misères et dix fois la somme de dépenses qu’elle voudrait éviter aujourd’hui à l’aide de cette loi désespérée. »


Ces avertissemens effrayans étaient de nature à troubler l’esprit des plus hardis législateurs. Le parti des landlords profita de l’immense effet qu’ils avaient produit, et lord Monteagle proposa et fit passer dans la chambre des lords un amendement qui limitait la durée de la fameuse clause au 1er août 1848.

Les lords ne prévoyaient peut-être pas la tempête qu’ils allaient soulever dans l’opinion publique. Les hommes sages, comme lord John Russell, comme sir James Graham, l’ancien ministre de l’intérieur, jugèrent que la résistance était impossible. Les règlemens ne leur permettaient pas de parler dans la chambre des communes de ce qui se faisait dans la chambre des lords ; mais ils faisaient des allusions significatives à ce qui se passait, selon la locution usitée, dans un autre lieu. M. Roebuck était obligé de se taire, et probablement se mordait les lèvres jusqu’au sang ; mais la presse radicale fulminait des dénonciations furieuses contre le parti des propriétaires. L’Angleterre souffrait elle-même de la famine. Les travaux étaient suspendus, les manufactures arrêtées, des milliers d’ouvriers sans emploi vivaient sur leurs épargnes, et cependant il fallait continuer à verser millions sur millions dans cette terre toujours aride et altérée de l’Irlande. Puis l’orgueil anglais souffrait profondément de voir l’attention et la pitié du monde entier fixées sur la sœur de l’Angleterre. Les secours provenant