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des souscriptions ouvertes en France, aux États-Unis, dans toute l’Europe et toute l’Amérique, étaient reçus comme autant d’humiliations. Nulle part ce sentiment tout particulier de jalousie, d’amertume et de honte n’était plus ouvertement exprimé que dans le Times, lorsqu’il disait :


« L’honneur anglais, la gloire anglaise, sont compromis par tout ce qui se passe. L’Irlande, la sœur de l’Angleterre, son ancienne conquête, mendie et reçoit aujourd’hui les aumônes de la terre entière. Pouvons-nous être satisfaits d’entendre nos rivaux et nos calomniateurs, qui ont toujours le nom de l’Irlande à la bouche, faire la charité à nos malheureux compatriotes ? De toutes les parties des États-Unis il arrive des souscriptions. Il y en a eu à Constantinople, et le sultan y a largement contribué. Le pape a ordonné des prières et des quêtes pour l’Irlande. Que nous recevions ces témoignages de sympathie des Indes orientales et occidentales, passe encore ; mais devons-nous entendre dire avec un plaisir sans mélange que Marseille a donné plus pour les Irlandais que pour les inondés de son propre pays ? Or, ces appels à la pitié de l’univers ne sont pas nécessaires. L’Irlande peut se soutenir elle-même aussi bien que la France ou tout autre pays. Il y a des parties de la France et de la Belgique encore plus pauvres qu’elle. La seule différence est dans l’inhumanité des propriétaires. Toute la terre fait leur devoir pour eux. Et pendant ce temps-là, notre pays, cette Angleterre qui donne 250 millions à l’Irlande, passe dans le monde entier pour un tyran ou un mendiant ! Il faut que cela finisse. »


Ces menaces, répétées tous les jours, animaient singulièrement l’opinion. On arrivait à prêcher une croisade contre la chambre des lords et contre la propriété. Les élections générales allaient bientôt se faire ; c’était une mauvaise question à jeter aux passions populaires. Tous les efforts du gouvernement tendirent donc à reprendre le terrain qu’il avait perdu. L’amendement de lord Monteagle pouvait être repris au passage dans une des nombreuses formes que les lois anglaises ont à traverser ; le ministère rassembla ses forces, et il fit révoquer la première résolution. Cette rétractation de la chambre des lords mit un terme à la longue lutte qui avait occupé toute la session, et la loi des pauvres fut enfin imposée à l’Irlande.

Nous l’avons dit, c’est une révolution, une révolution qui s’accomplira par des voies légales, lentes peut-être, mais qui n’en sera pas moins profonde. Déjà les prédictions de cet épouvantable discours de l’archevêque de Dublin sont en partie réalisées. Avec la certitude des secours légaux, le nombre des pauvres s’est accru dans une proportion inouie, à ce point qu’il y a quinze jours, l’état faisait quotidiennement distribuer de la soupe à plus de trois millions d’individus. Eh bien ! l’Irlandais n’est pas comme l’Anglais ; il est plutôt comme l’Italien, qui vit avec un sou par jour. Il ne connaît pas le bien-être, et, ne l’ayant jamais connu, peut-être n’en éprouve-t-il pas le besoin. Cette soupe misérable lui suffit ; il ne mettra pas un pied devant l’autre pour améliorer sa