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La loi musulmane ne reconnaît pour véritable propriétaire que celui qui, suivant l’expression du prophète, ramène à la vie la terre morte. Aux yeux de l’autorité française, la culture devint également la sanction véritable de la propriété ; la mise en valeur des terres appropriées fut déclarée obligatoire dans un périmètre tracé autour de chaque ville, village ou hameau ; ce fut ce qu’on appela dès-lors le territoire civil. Tout propriétaire indigène ou européen fut requis de constater ses droits par la production de ses titres ou autrement. Les champs laissés incultes furent frappés d’une redevance annuelle de 5 francs par hectare, indépendamment de tous les autres impôts établis ou à établir sur les terres : le non-paiement de cette amende fut considéré comme un abandon de la propriété laissée en friche. Reconnaissant toutefois que la plupart des colons étaient dans une impuissance réelle d’utiliser leurs terres, soit par l’exiguïté de leurs ressources, soit en raison de l’état commercial de la colonie, on ne voulut pas punir par la confiscation absolue un tort dont le coupable était la première victime, et on autorisa les propriétaires à faire au domaine l’abandon de leurs terres inutiles, en se réservant le droit de réclamer plus tard une égale quantité de terres arables dans une autre localité, dès qu’ils se sentiraient en mesure de cultiver avec avantage.

Quoique conçu dans un esprit fort paternel, ce règlement rencontra des obstacles, surtout dans les dernières dispositions qui prescrivent l’obligation de la culture. La mise en valeur d’une terre, le peuplement qui en est la suite, ne se décrètent pas par ordonnance ; il n’y a pas besoin de loi pour stimuler le propriétaire qui est dans une condition de bonne exploitation : les mesures comminatoires ne suffisent pas pour décider à la culture celui qui ne peut pas labourer avec avantage. N’appréciant pas bien cette force d’inertie qui lui était opposée, l’administration essaya de la vaincre en prescrivant d’une manière plus précise et plus rigoureuse l’obligation de défricher. L’ordonnance du 21 juillet 1846, après avoir confirmé la précédente dans les dispositions relatives au contrôle des titres, éleva de 5 à 10 fr. par hectare l’impôt spécial frappé sur les terres laissées en friches ; la preuve de mise en culture exigée des propriétaires fut la plantation de trente arbres par hectare, la construction d’une maison d’au moins 5,000 francs, et l’établissement d’une famille européenne par 20 hectares. Dans l’état de la colonie, c’était vraiment demander l’impossible. L’administration le reconnut tacitement. Sans abandonner en théorie le principe de la culture obligatoire, elle admit dans la pratique de nombreuses exceptions. Ramenée par le fait à la simple vérification des titres, l’ordonnance de 1846 a cessé d’être un épouvantail et reçoit son exécution. Ce contrôle a jeté une première lueur sur l’état de la propriété coloniale et l’importance des acquisitions faites par les Européens. Au 15 mars