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les autres, leur crédit ; tous, du pouvoir. Notre force était dans l’union, et tous les jours notre groupe, devenu plus compacte, contrastait davantage avec la faiblesse et l’énervement qui nous entouraient. Aujourd’hui me voici maître de presque tout le Missouri, et je forme de plus vastes plans. Jusque sur les bords du désert, il y a des Mormonites, des hommes dont les cœurs battent à l’unisson du mien. Je leur ai donné unité, discipline, zèle, habitude de l’ordre ; il ne nous manque que la persécution pour que nous soyons forts ; — une seule persécution ! et le nombre de mes adeptes sera centuplé. Vous ne savez pas combien la liberté d’action pèse à la plupart des hommes, combien le despotisme leur est nécessaire. C’est une des causes majeures de mon succès ; peu d’hommes ont le courage de prendre une initiative, bien peu savent user de l’indépendance. Je suis despote, moi ; tout m’obéit. Le territoire qui nous sépare du Mexique est rempli de tribus sauvages qui ne demandent qu’à être ralliées. Les journaliers irlandais qui souffrent et meurent de faim, les exilés d’Europe dont le nombre s’accroît chaque année, viendront avec moi ; les Comanches, les Patagons, toutes les races mêlées qui promènent leur détresse sur les limites de la civilisation américaine seront à nous tôt ou tard. J’ai pour moi l’harmonie et l’ordre, je rallie les élémens divisés ; il est impossible que l’avenir ne m’appartienne pas. Pendant que la démocratie isole les hommes, moi, je les groupe, et tôt ou tard vous me verrez élever les coupoles et les dômes de ma ville capitale au-dessus des forêts séculaires qui nous entourent. Il y a tout un empire futur dans ces provinces encore peu civilisées du Wisconsin, de l’Illinois, de l’Ioway, du Michigan et d’Indiana. Désirez-vous savoir pourquoi je m’adresse à vous ? Votre oncle commande aux mineurs de ce district, il est le principal magistrat du pays et l’un de nos plus riches propriétaires. Qu’il marche avec nous, attachez-vous ainsi que lui à notre secte, et notre pouvoir est assuré. Nous passerons les lacs du nord, nous pousserons jusqu’à la mer Pacifique ! Vous voyez bien que ces mots : égalité et liberté, ne sont que des mots ; l’homme n’est jamais l’égal de personne ; le reste est une fraude politique. Je ne vous ferai pas la honte de vous traiter comme le vulgaire de mes sujets. Je vous dis toute la vérité ; - je ne vous caché rien de mes ambitions. »

Cette confession du Mormon est sans doute une fraude, comme toutes les autres autobiographies que nous passons en revue. Jadis l’auteur de Robinson, Daniel de Foe, composait des mensonges vrais ; aujourd’hui l’on rend la vérité menteuse. La conviction de Daniel lui dictait des récits dont pas un mot n’était réel ; ce qui était réel, c’était sa foi.

Il n’y a plus de foi maintenant ; mais pour gagner un peu d’argent, l’on confesse les autres. Qu’un Anglais ou un Américain de nos jours soit en quête d’une idée, et qu’elle lui fasse défaut ; il prend le premier