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ne point les condamner sans les avoir expliqués. Le parti catholique a progressivement et sans bruit envahi toutes les places, comme il avait envahi toutes les issues du corps électoral ; il règne, à proprement parler, dans les fonctions publiques, sans presque aucune interruption depuis 1835, et M. de Theux, il y a bien peu de mois encore, à la veille de sa chute, distribuait à grand bruit dans son camp les plus hauts emplois du gouvernement, comme pour créer à ses successeurs, déjà publiquement désignés, ou l’embarras de garder des ennemis à leur service, ou l’embarras de les frapper par d’éclatantes destitutions.

Des deux inconvéniens, M. Rogier a choisi le dernier, parce qu’il pensait sans doute que c’était le moindre. L’opinion était si bien du même avis là-dessus, que les victimes elles-mêmes, chargées de la faveur d’un cabinet mourant, n’y pouvaient voir que la promesse d’une très prochaine disgrace. Il est vrai qu’il se trouve à présent des journaux en Belgique pour déclarer que le ministère de M. de Theux était complètement indépendant des influences cléricales ; la domination des évêques n’a jamais été qu’un fantôme, et les évêques, dit-on, se plaignaient de ne rien obtenir de M. de Theux ! Que pouvaient-ils donc lui demander ? On doit connaître maintenant par une expérience à peu près universelle d’où vient et où va cette tactique savante, qui consiste à se faire petit lorsqu’on a trop ou trop tôt montré qu’on était grand.

Ce n’est point cette polémique rétrospective qui doit beaucoup troubler le ministère de M. Roder ; nous lui voyons de plus sérieux ennuis. Il faut d’abord qu’il marche en s’appuyant sur deux ordres d’auxiliaires qui ne s’accorderont jamais facilement, en combattant deux ordres d’ennemis qui s’associeront toujours volontiers malgré leur dissidence. M. Rogier, doctrinaire par ses antécédens et ses convictions, ne peut plus aujourd’hui se dispenser de fraterniser avec les hommes et de s’accommoder avec les exigences des libéraux plus avancés que lui. C’est l’ardente propagande de cette fraction considérable qui a déterminé la révolution accomplie dans le corps électoral de la Belgique ; issu de cette révolution, le nouveau ministère ne saurait en méconnaître le caractère et la portée. D’un autre côté, si le parti ultra-libéral est pour lui un élément essentiel de gouvernement, il ne saurait non plus se passer du sénat, et ce sera toujours un arrangement bien malaisé que de réunir dans une communauté durable les hommes ou les idées de ce libéralisme énergique et les préjugés ou les rancunes d’une aristocratie de grands propriétaires qui paient un cens d’éligibilité de mille florins. En même temps, s’il accepte jusqu’aux ultra-libéraux, il repousse, avec la décision de son caractère, les radicaux dont tous les hommes de sens et de gouvernement se sont séparés l’année dernière en sortant de l’alliance, les jeunes libéraux, comme s’appellent aujourd’hui les derniers débris du républicanisme de 1830. Il vient même de leur jeter le gant, en nommant à des fonctions publiques deux des membres de l’ancienne alliance qui ont contribué le plus résolûment à la faire dissoudre. C’est ainsi qu’il répond aux provocations arrogantes de ce parti violent comme tous les partis sans espoir.

Une feuille wallone écrivait dernièrement : « Que le ministère Rogier n’oublie pas qu’il est sorti des clubs ; s’il l’oublie, les clubs l’en feront souvenir. » Nous croyons que les clubs se vantent ; mais l’agitation qu’ils peuvent répandre dans les étages inférieurs du système politique aurait certainement de graves incon-