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Rien n’est plus vrai et on ne saurait mieux dire. La conformité générale entre l’âge héroïque des Grecs et l’âge héroïque des temps modernes se caractérise aussi par des traits de détail. On sait comment dans Homère les hommes et les choses sont perpétuellement accompagnés d’épithètes et d’appositions toutes faites qui reviennent sans cesse. Il en est de même dans nos vieilles chansons de geste. Ulysse est l’homme de grand sens, Briséis est la fille aux belles joues, Nestor est le vieillard dompteur de chevaux, Achille le héros au pied rapide, Diomède le guerrier irréprochable.

En parallèle, nous trouvons dans nos poèmes Olivier le preux et le sené, Blanchefleur, la reine au clair vis ; Charlemagne, le roi à la barbe fleurie ; Roland, le chevalier à la chère hardie ; Turpin le preux et l’alosé. La France est la France la louée, comme dans ce vers :

Voyez l’orgueil de France la louée,


Si Achille, oisif auprès de ses vaisseaux, soupire après le tumulte des combats, la vieille poésie a un mot spécial pour exprimer ce cri de guerre par lequel les peuples primitifs cherchent à effrayer leurs ennemis et avec lequel les romans de Cooper nous ont familiarisés.

Lors recommence la noise et la huée


est un vers qui se rencontre fréquemment. Pour Homère, l’armée est toujours l’ample armée des Grecs, semblablement l’armée de Charlemagne ou de Marsille est la grant est banie (ornée de bannières).

Pour peu qu’en lisant Homère on ne fasse pas abstraction complète des habitudes modernes, on est certainement fatigué du retour incessant de ces épithètes qui semblent oiseuses. Toutefois l’oreille s’habitue facilement à de pareilles répétitions, et l’esprit, de son côté, accepte cette simplicité naïve. D’ailleurs il faut, en fait d’art comme dans le reste, se mettre à un point de vue relatif et ne pas croire à des règles absolues. C’est grandement desservir Homère que de donner comme fait pour nous et applicable à notre poétique ce qui fut imaginé et chanté il y a près de trois mille ans. Si Homère et nos vieux poètes accompagnent constamment les noms de leurs héros d’épithètes vagues et sonores, c’est que la poésie primitive aime et réclame ce genre d’ornemens. On peut dire que cela tient radicalement au goût des peuples barbares ou demi-barbares qui sont si passionnés pour les armes et les parures éclatantes. Ce goût s’est réfléchi dans la poésie, et le poète, obéissant à ce sentiment général, ne fait jamais paraître ses héros dénués de la riche et pompeuse toilette des épithètes. Le goût moderne plus sévère, s’attachant plus au fond qu’à la forme, tend à supprimer, aussi bien dans les habitudes de la vie que dans la poésie, les ornemens excessifs, et, quand de nos jours la poésie a voulu redevenir descriptive