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rien d’abrupt. En suivant de l’œil ces belles lignes si largement développées, qui semblent s’élever en pentes douces jusqu’au point culminant, on se demande si c’est bien là le profil de cet Etna que Pindare appelait la colonne du ciel. On traite de mensonges les récits des voyageurs ; on se promet d’atteindre sans fatigue ce sommet si peu élevé en apparence au-dessus de l’horizon, et l’expérience est réellement nécessaire pour rectifier cette erreur[1].

Les pentes dont nous parlons sont d’ailleurs variables, et la ligne qui en résulte présente par conséquent des brisures faciles à reconnaître même à la vue simple. M. de Beaumont a le premier appelé l’attention des géologues sur ce fait très important à connaître pour quiconque veut se rendre compte de la formation de l’Etna. Le pourtour du volcan forme un cercle irrégulier de trente-huit lieues d’étendue environ. Une falaise plus ou moins prononcée le sépare presque partout de la plaine environnante. Au-dessus de cette falaise, qui marque les limites propres du volcan, s’étend une sorte de plateau ou de terre-plein bombé qui s’élève de tous côtés vers la montagne par une pente insensible de deux à trois degrés. Cette espèce de socle porte un cône surbaissé qui forme les talus latéraux de l’Etna, et dont la pente assez régulière est de sept à huit degrés. Ces talus latéraux aboutissent à la gibbosité centrale, au Mongibello des Siciliens, dont la partie la plus élevée se termine par un petit plateau incliné appelé le Piano del Lago, qui lui-même est dominé par le cône terminal où est creusé le grand cratère. Du Piano del Lago se détachent à l’est deux crêtes étroites presque tranchantes qui font partie de la gibbosité centrale et embrassent comme deux bras une grande vallée connue sous le nom de Val del Bore. Les parois intérieures de cette vallée sont souvent taillées à pic. Les parois extérieures présentent

  1. M. Élie de Beaumont a fidèlement reproduit cet aspect dans les planches qui accompagnent un travail auquel nous ferons de nombreux emprunts, et dans le plan en relief si curieux qu’il a modelé d’après ses propres observations. On retrouve aussi ce caractère général de l’Etna dans les livraisons déjà parues du magnifique ouvrage de M. Sartorius de Waltershausen, géologue allemand, qui a consacré six années entières à l’étude de ce volcan, et qui publie en ce moment une carte minutieusement détaillée, accompagnée de dessins d’une grande fidélité. La différence qui existe pour les pentes entre la réalité et l’estimation ; faite même par l’œil le plus exercé, tient à une illusion d’optique. Nous nous exagérons toujours l’inclinaison des talus que nous avons à gravir. M. de Beaumont, dans son mémoire, a mis ce fait en évidence en dressant le tableau d’un grand nombre de pentes mesurées exactement. Nous ne citerons ici que quelques exemples propres à donner au lecteur une idée de ces résultats. La rue de la Montagne Sainte Geneviève, la plus escarpée peut-être de tout Paris, n’a que 6 degrés de pente dans les passages les plus rapides. Les chemins de 10 degrés et demi deviennent impraticables pour les charrettes. Les mulets chargés ne peuvent gravir une pente de plus de 29 degrés. Les moutons ne peuvent plus atteindre les gazons inclinés de 50 degrés, et une pente de 55 de grés est absolument inaccessible. (Recherches sur la structure et sur l’origine de l’Etna, par M. L. Élie de Beaumont, ingénieur en chef des mines.)