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DEUXIEME PARTIE.

Après le conseil, l’exemple ; après la théorie, la pratique ; mais le vieux poète grec est bien difficile à reproduire, et le vieux français est un instrument bien peu familier à nos oreilles. Je conviens de tout cela, et je comprends le risque que court la pratique ; cependant je ne m’en tiens que plus fermement à la théorie, et même, en finissant, je prétends que le vieux français n’est point, à vrai dire, une langue morte, qu’il faut peu d’efforts pour le raviver, et que l’étude en est salutaire, instructive, attrayante.


ILIADE.


CHANT PREMIER.



I.


Chante.[1] l’ire, ô déesse, d’Achille fil Pélée[2],
Greveuse[3] et qui aux Grecs fit maux tant merveilleux[4],
Livrant à Pluton l’ame maint[5] guerrier généreux
Et le corps aux vautours et aux chiens en curée ;
Ainsi de Jupiter s’accomplit[6] la pensée,
Du jour où la querelle primerain[7] fut levée[8]
D’Atride roi des hommes, d’Achille fil des dieux.


II.


D’entre les immortels qui troubla leur courage[9] ?
Apollons[10]. Vers[11] le roi si eut-il mautalent[12],
Qu’en l’ost[13] lança la peste et périssoit la gent,
Puisqu’au prêtre Chrysès Atrides fit outrage.
Chrysès s’en vint aux nefs de rapide sillage,[14]

  1. La colère. Ire se trouve encore dans des auteurs du XVIIe siècle.
  2. Pour fils de Pélée ; fil est écrit sans s, parce qu’il est ici régime. Je note cela une fois pour toutes.
  3. Qui fait souffrir « Tant fait pour lui : greveuse pénitence. » Couci, XI.
  4. Merveilleux est continuellement employé dans ce sens. Roncisvals, p. 193 : « Merveilleux coups se donnent es escuz communal. »
  5. L’ame de maint guerrier. Guerrier est un mot ancien. « Es-vous tous quatre les guerriers assemblés. » Raoul de Cambrai, p. 171.
  6. « Li quinze an furent accompli et passé. » Raoul de Cambrai, p. 16.
  7. En premier, tout d’abord. Primerain, primeraine est un adjectif ; mais on le trouve aussi employé comme adverbe. Raoul de Cambrai, p. 293 : « Il vous convient primerain dépouiller. »
  8. S’éleva. Voyez Roncisvals, p. 41 : « Vers Durandal est li chaples (la lutte) levés. »
  9. Ce mot, qui a ici le sens que nous donnons au mot cœur, a conservé cette signification jusque dans le XVIIIe siècle.
  10. L’s indique le sujet singulier. Cette remarque est faite ici une fois pour toutes.
  11. Envers. Couci, XIX : « Oncques vers lui n’eu faux cœur ne volage. »
  12. Colère. « Mautalent eut li rois, si que tout en rougist. » Berthe, XCI.
  13. L’armée. La Fontaine a encore dit : « L’ost des Grecs. » On prononçait ô.
  14. Sillage ou siglage, du verbe sigler, que nous écrivons et prononçons cingler.