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« Je[1] certes, ci[2] ne vin-je aux Troyens courageux
« Guerroyer pour raison qui me fût encontre eux ;
« Jamais[3] il ne ravirent mes chevaux et mes bœufs ;
« Et jamais dans la Phthie, en nos champs plantureux
« Dégât il ne portèrent ; car gisent entre deux
« La mers au flot sonore et tant de monts ombreux.
« Mout impudents ! nous vînmes pour liesse te faire,
« Conquérant[4] ès Troyens honneur à Ménélas,
« Et à toi, œils de chien ! Mais souci tu n’en as,
«  Et de ta main menaces le guerdon me retraire,
« Octroi des fils de Grèce, conquis à grand pourchas[5].
« Je n’ai jamais un lot qui à ton lot s’afière[6],
« Quand de cité troyenne, bien garnie[7], est dégâts.
« Aux travaux de la guerre plus fait œuvre mes bras[8] ;
« Mais ta parts, au partage, est mout grands et plenière ;
« Et je part ai petite, et aux vaisseaux repaire[9]
« Contents, jà soit que j’ai tant peiné[10] dans la guerre.
« Or je vai dans la Phthie ; car plus j’aurai soulas[11]
« O[12] les nefs recourbées m’en aller en ma terre.
« Ci[13], je croi, grands richesses, moi honni, n’acquerras. »


XVIII.


Atrides, rois des hommes, si lui fit repartie :
« Fui[14] donc, s’ainsi[15] t’agrée ; je rester ne te prie.
« Ne faudra[16] qui m’honore en ce besoin d’aïe,
« Ne surtout Jupiters, qui droit conseil octrie[17].
« Des rois issus des dieux tu m’es li plus haïs ;
« Noise, guerre, bataille, à ce te plais tous dis[18].
« Se tant par es vassals[19], d’un dieu c’est la mercis.
« Retournans au manoir o[20] vaisseaux et maînie,
« Va loin des bords troyens régner en Thessalie.
« T’ire[21] me touche peu ; de toi ne me soucie.

  1. Nous dirions moi, moins régulièrement, puisque je est sujet et moi est régime.
  2. Ici.
  3. Le pronom il n’avait point d’s au pluriel.
  4. Chez les Troyens.
  5. Peine, travail.
  6. Qui se compare. Berthe, XII : « N’est femme qui à elles de grand beauté s’afière. »
  7. Berthe, LX : « Encor le maintient-on à Paris la garnie. » Cela répond assez bien à εὐναιόμενον (eunaiomenon) de L’original.
  8. Mon bras. Notre pronom mon faisait mes au sujet singulier, mon au régime singulier, mi au sujet pluriel et mes au régime pluriel.
  9. Je m’en retourne, je me retire.
  10. Couci, X : « De cette amour qui tant me fait peiner. » Jà soit que signifie quoique ; et on le trouve d’ordinaire avec l’indicatif.
  11. Satisfaction, contentement.
  12. O devant une consonne, od devant une voyelle, signifie avec.
  13. Ici.
  14. Fuir était dissyllabe et monosyllabe. Raoul de Cambrai, p. 205 : « Fui de ci, rois, tu aies encombrier. »
  15. S’il t’agrée ainsi.
  16. Il ne manquera pas gens qui m’honorent en ce besoin de secours. Romancero français, p. 93 : « Qui lui faudra à ce besoin d’aïe. »
  17. Octroie.
  18. Toujours. Nous avons gardé le composé analogue tandis, tantos dies.
  19. Par-vassals, très vaillant. Par se séparait. Nous avons par trop.
  20. Avec.
  21. Ta ire ; ton ire, ta colère.