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montagne chérie[1]. Avant eux, le touriste ou le savant qui visitaient l’Etna étaient obligés de coucher à mi-côte sous une vieille lave, dans une cavité fort mal close appelée la grotte des chèvres. Pour atteindre le sommet du cône avant le lever du soleil, il fallait gravir pendant la plus grande partie de la nuit les pentes les plus abruptes, les plus dangereuses de la montagne. En 1804, les frères Gemellaro firent construire à leurs frais une petite maison sur les bords du Piano del Lago ; ils la meublèrent, et la clé en fut confiée à M. Mario Gemellaro. Cette première casina, détruite en 1806, fut bientôt remplacée par une seconde, qui prit le nom de Gratissima. Cinq ans après, en 1811, un tremblement de terre renversa en partie cette dernière et détruisit le mobilier. Sans se rebuter, les trois frères résolurent de la remplacer par un édifice plus considérable où pourraient loger non-seulement les voyageurs, mais encore leurs montures. Ils choisirent pour emplacement, non loin de la Gratissima, un monticule couvert de lapilli[2], abrité du côté du volcan par les bords à pic des laves de 1754 ; mais, à l’exception de la pierre, tous les matériaux devaient être apportés à dos de mulet d’une distance considérable, et les frais de l’entreprise auraient dépassé de beaucoup la modeste fortune de nos savans. Ils eurent l’idée de s’adresser à lord Forbes, commandant de l’armée anglaise qui occupait alors la Sicile. Une souscription fut ouverte, et bientôt, sous la direction de M. Mario Gemellaro, s’éleva une véritable maison, qui jusqu’à ce jour a été épargnée par le volcan.

Toutefois la persévérance des frères Gemellaro devait subir bien d’autres épreuves. La maison une fois construite, ils l’avaient proprement meublée et y avaient transporté une provision de combustible. Attirés par ce butin, les pâtres de l’Etna forcèrent la porte et enlevèrent tout le mobilier. Ces dégâts bientôt réparés se reproduisirent à deux autres reprises. Enfin, en 1820, à l’époque de l’occupation autrichienne, quelques officiers en garnison à Catane voulurent visiter le volcan. En leur qualité d’hommes du Nord, ils crurent pouvoir se passer de toute précaution et dédaignèrent de demander les clés de la casa Gemellaro ; mais, arrivés au sommet de la montagne et saisis par le froid, ils enfoncèrent les portes et brûlèrent les meubles. Pour cette

  1. La famille Gemellaro a compté à la fois trois frères, tous trois savans distingués. L’un d’eux, Giuseppe Gemellaro, auteur du plan de l’Etna, est mort depuis quelques années. Un second, Carlo Gemellaro, est encore aujourd’hui professeur à l’université de Catane. Mario Gemellaro, médecin à Nicolosi, naturaliste aussi instruit que modeste, a publié sur la météorologie, la botanique et la géologie de l’Etna, plusieurs mémoires du plus grand intérêt pour l’histoire de cette montagne.
  2. On appelle lapilli des fragmens de scories légères dont la grosseur moyenne est à peu près celle d’une noix. Les mêmes matières réduites au volume de grains de sable ou finement pulvérisées forment, à proprement parler, la cendre volcanique, qui ne ressemble en rien à celle de nos foyers ou même à celle de nos feux de forge.