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grottes funèbres et de vastes carrières d’où est sortie Memphis. Dans ces carrières, Champollion a lu les noms des Pharaons de la dix-huitième dynastie, antérieurs à Sésostris, entre autres celui d’Amosis. On y a trouvé depuis des noms encore plus anciens. Enfin d’autres inscriptions hiéroglyphiques prouvent que les carrières de Tourah ont été exploitées jusqu’au temps d’Auguste.

A midi, le vent traînait des nuages de sable ; la brume du matin s’était depuis long-temps dissipée, elle était remplacée par des tourbillons jaunâtres, atmosphère du désert. A droite, on voyait se dresser et fuir successivement les pyramides de Sackarah et de Daschour. Je visiterai ces pyramides à mon retour, j’examinerai alors si elles sont les plus anciennes de l’Égypte, et antérieures même aux pyramides de Giseh. Aujourd’hui nous profitons du vent qui souffle favorable pour avancer le plus vite possible.

Le soir, en attendant l’autre barque, nous avons fait sur la rive gauche une charmante promenade. Le village vers lequel nous nous sommes dirigés était marqué, comme d’ordinaire, par un bouquet de palmiers qui, s’élevant sur une butte autour de laquelle gisaient les huttes des fellahs, semblaient plantés sur les toits des maisons. Auprès des huttes en terre et en roseaux sont les tombes des habitans, pauvres tombes de boue séchée qui m’ont semblé imiter par leur forme les caisses de bois et les sarcophages des momies. Nous avons rencontré un paysan qui suçait une canne à sucre ; un autre paissait une graminée.[1]

Cette misère était cruellement éclairée par un splendide coucher de soleil. Quand l’astre disparut à l’occident, le ciel avait une couleur safranée comme la robe de l’aurore dans Homère, χροχόπεπλος. On eût dit que le jour allait poindre. Au nord et au midi, la teinte du firmament était verdâtre, lilacée à l’orient. Nulle part ne se montrait la noire couleur de la nuit. Nous nous sommes rapprochés du fleuve, dont nous avons écouté le bruit pareil au grondement de la mer ou d’une lointaine cataracte ; à ce bruit se mêlait le frémissement métallique des feuilles de palmier frôlées par le vent. Des traînées d’oiseaux aquatiques rasaient le Nil. Leurs longues ondulations se pliaient, se brisaient, allant et venant comme des vagues dans la tourmente ; leur blancheur imitait la blancheur de l’écume ; de loin on eût dit des brisans mobiles ; puis la nuit est tombée brusquement, et ce premier jour du Nil a fini.


2 janvier.

Durant la nuit, le vent a cessé. Ce matin, le Nil a l’aspect d’un lac blanchi par l’aube. Les matelots traînent les barques, et les traînent fort

  1. L’halpheh.