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brasero et fait autant que possible provision de chaleur, nous gagnâmes cette couche, bien préférable au plancher de lave de la grotte des chèvres. Couverts de nos capes et de nos manteaux, serrés l’un contre l’autre, nous ne tardâmes pas à nous endormir, malgré les courans d’air froid que le sol pris de glace nous envoyait à travers les planches mal jointes de notre lit.

À deux heures après minuit, le guide nous éveilla, nous fit choisir dans un faisceau de bâtons solides, et nous prîmes, au clair de lune, la route du cratère. Nous traversâmes avec quelque peine la coulée de lave qui, en 1838, est venue se bifurquer au pied du monticule qui porte la casa, puis un banc de neige qui craquait sous nos pieds, puis enfin une pente douce couverte de scories. Nous nous trouvâmes alors à la base du cône et commençâmes une ascension d’abord aussi pénible que celle du Stromboli. Les pierres, les sables mobiles fuyaient à chaque instant sous nos pieds ; mais, dirigés par le guide, nous atteignîmes une coulée placée vers l’ouest, et la montée devint moins fatigante. Enfin nous atteignîmes la crête et restâmes immobiles à l’aspect du tableau qui se déroulait devant nous. À nos pieds s’ouvrait le grand cratère. Ce n’était plus ici un simple cône renversé, un entonnoir presque régulier comme nous en avions observé sur tous les cônes parasites, comme on le voit au sommet du Vésuve lui-même. Ce n’était plus ce noir uniforme des roches et des cendres du Stromboli. Encore bouleversé par l’éruption de l’année précédente, le cratère de l’Etna se présentait comme une véritable vallée, coudée, profonde, inégale, avec ses redans et ses caps, formés par des talus abruptes, irréguliers, hérissés d’énormes, scories, de blocs de lave entassés, roulés, tordus de mille manières par la puissance du volcan ou les hasards de leur chute. C’étaient partout des couleurs bleuâtres, verdâtres, blanchâtres, semées çà et là de larges taches noires ou de plaques d’un rouge cru qui faisaient ressortir les teintes livides de l’ensemble. Un silence de mort régnait sur ce chaos. Des milliers de fumaroles laissaient échapper sans bruit de longues traînées de vapeurs blanches qui rampaient lentement sur les flancs du cratère et portaient jusqu’à nous des émanations suffocantes d’acide sulfureux ou chlorhydrique. Enfin la clarté blafarde de la lune jointe au crépuscule, naissant éclairait dignement cette scène sauvage dont aucune langue humaine ne saurait exprimer le caractère grandiose et vraiment infernal.

Le sol que nous foulions, entièrement composé de cendres et de scories, était humide, chaud, et semblait couvert de gelée blanche. Mais cette humidité, c’était de l’acide qui eut bientôt mouillé et corrodé nos chaussures ; cette couche argentée où miroitaient quelques cristaux, c’était du soufre sublimé par le volcan, des sels formés par les réactions chimiques qui se passent sans cesse dans ce redoutable laboratoire[1].

  1. Ces sels, d’après M. Elie de Beaumont, sont principalement des sulfates.