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16 janvier.

Cet hiver est un hiver extraordinaire et très rigoureux pour le pays, ce qui n’empêche pas des journées comme celle d’hier ; mais ce matin le ciel est couvert, chose rare ici. Le soleil se fait sentir quelque temps avant de paraître. Il suffit qu’il se laisse apercevoir pour qu’on reconnaisse sa vigueur. Il se cache de nouveau ; on le voit blanchir à travers des nuages grisâtres. Les escarpemens de la rive sont pittoresques et mieux déchirés qu’à l’ordinaire. Au bas s’étend comme un golfe de sable ; des torrens de sable descendent des ravins qui sillonnent les rochers. Ces torrens arides sont alimentés par la mer de sable qui est derrière les montagnes et qui s’épanche par-dessus leurs cimes. Le désert déborde et envahit. Il donne sa couleur aux flots jaunâtres du Nil. Aujourd’hui point d’oiseaux ; tout est morne. Le ciel est pâle ; c’est le ciel que j’ai vu aux confins de la Laponie, vers la fin d’août, comme il allait neiger.

Soliman me parle encore de la misère du peuple. Un homme de la campagne qui va s’établir à la ville continue à payer comme habitant de son village et paie comme membre de la corporation dans laquelle il doit entrer. Les corporations supportent toujours une taxe égale, sans qu’on tienne compte des décès qui surviennent dans leur sein. Les impôts sur les métiers s’afferment ; le gouvernement est pour celui qui offre le plus. Les prix exorbitans de ce fermage n’empêchent pas les traitans de gagner. Le gouvernement fait payer l’impôt d’avance, et dit aux contribuables : Je vous devrai ; mais c’est un débiteur difficile à poursuivre. Tous les traitemens civils et militaires sont arriérés ; les soldats, à qui on doit leur paie, vont la vendre à des Juifs pour le tiers de sa valeur, car l’Arabe dit : Aujourd’hui j’ai mangé et bu, Dieu aura soin du lendemain.


17 janvier.

Nous faisons le tour de la ville d’Akhmin pendant qu’on renouvelle nos provisions ; mais nous ne visiterons pas maintenant le peu d’antiquités qu’elle renferme, et qui la plupart sont du temps des Romains nous sommes trop près de Thèbes, et le vent est trop favorable. L’intérieur de la ville présente un aspect misérable. Le bazar est couvert de lambeaux, de guenilles. La seule rencontre que nous fassions dans les rues assez solitaires est celle d’un homme déjà couché sur le ventre et prêt à recevoir la bastonnade. Nous entrons dans une petite église copte ; un tableau me frappe ; les noms de la Vierge, de l’enfant Jésus, des archanges Gabriel et Raphaël y sont écrits en arabe. Un sujet fréquent dans les peintures égyptiennes, la pesée des ames après la mort, a été ramené là par l’art chrétien, qui l’avait adopté au moyen-âge. Singulier retour des imaginations humaines ! Que de chemin à travers les siècles sans sortir d’une idée !