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La chaleur est revenue. Nous voyons des crocodiles et des palmiers doum. C’est la Haute-Égypte. Un souffle suave enfle notre voile. Nous approchons de Thèbes ; nous y serons peut-être demain.


18 janvier.

Un calme maudit nous arrête. Thèbes semble fuir devant nous. Le ciel se voile encore une fois. Encore une promenade en France, parmi les ajoncs, au chant des coqs, au gloussement des poules, dans des îles qui ressemblent assez aux îles Saint-Denis. Nous enrageons d’être ainsi retenus, parce que Thèbes nous attend et parce que la saison nous presse d’arriver ; sans cela, ces retards auraient leur charme. Plus tard, je ne serai pas fâché d’avoir été forcé de passer cette journée à muser aux environs d’un village égyptien. Ce sont les jours perdus qui comptent quelquefois le plus dans les souvenirs que laisse un voyage. Si on ne faisait que passer ou étudier, on ne garderait aucune impression des lieux. Il faut des jours vides d’action pour qu’ils puissent être remplis d’images ; il faut s’être ennuyé dans un pays pour le bien connaître. À ce compte, je n’ai pas perdu ma journée.

Je soupçonne Soliman d’avoir mis dans sa tête que nous n’avancerions pas aujourd’hui. Après avoir marché quelques heures, nous avons attendu la barque ; mais elle s’est gardée de nous rejoindre. Près du lieu où nous attendions était une de ces chapelles consacrées à la mémoire d’un saint musulman qu’on appelle un santon. La coupole blanche s’arrondissait gracieuse parmi les palmiers. J’ai vu avec un certain attendrissement la pauvre femme attachée à la chapelle remplir d’eau les cruches qui attendent le voyageur.

Soliman, qui veut nous empêcher de nous impatienter, se met en frais de détails sur les mœurs du pays. Quand on a du bien mal acquis, nous dit-il, on en donne une partie à des santons qu’on rassemble dans sa maison. Il appelle cela donner une soirée. Il nous raconte qu’il a divorcé d’avec sa première femme parce qu’elle est allée voir son père sans la permission de son mari. Il semble encore irrité en nous en parlant. Dans tout cœur musulman il y a une jalousie de tigre.

Nous entrons dans un village ; c’est jour de marché. Les femmes sont voilées ; une almeh seule, le visage découvert, marche effrontément à travers la foule. Cette nudité semble indécente par le contraste.


19 janvier.

Nous arrivons le soir devant Denderah, que son zodiaque a rendu si célèbre, et où pour la première fois nous allons voir un temple égyptien. Nous descendons à Kenéh, sur la rive droite du Nil, en face de Denderah. Là est un agent français, M. Issa ; j’ai une lettre pour lui. M. Issa est un Arabe qui nous reçoit dans son intérieur purement arabe. Cependant, grace au drogman, je puis combiner avec lui les moyens