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soi-même, je me rappelais, chez l’écrivain réputé le moins religieux, cette magnifique parole qui embrasse dans un immense amour non-seulement le genre humain, mais tous les êtres, quels qu’ils soient, tous nos frères inconnus qui habitent au fond de l’espace sans bornes les milliards de planètes. « Si quelqu’un, dit Voltaire, si quelqu’un, dans la voie lactée, voit un indigent estropié, s’il peut le sauver et s’il ne le fait pas, il est coupable envers tous les globes. »

Cette clarté que je demande pour eux, cette purifiante atmosphère que leur donnerait la France, il vaudrait mieux pourtant qu’ils pussent la trouver dans leur patrie. C’est de là qu’est venu le mal, c’est là surtout qu’est le remède. Qui donc a poussé ces natures d’élite à de si indignes, extravagances ? quelle est la cause de ce vertige ? Pour moi, je n’en saurais douter, l’Allemagne seule en est responsable. Il y a désormais un trop grand contraste, dans ce pays, entre la culture des intelligences et la tutelle oppressive des gouvernemens. Quand l’esprit public est depuis long-temps émancipé et que l’état continue de le traiter comme un mineur, quand toutes les issues lui sont obstinément fermées, quand on lui refuse le mouvement et l’exercice régulier de ses forces, cet esprit actif, inquiet, s’agitant dans l’ombre où on l’enchaîne, est bientôt la proie du délire. Le fléau qui ravage la philosophie allemande n’a pas d’autre origine. Ne cherchez pas ailleurs l’explication de ces monstrueux systèmes ; vous ne parviendriez jamais à comprendre comment l’Allemagne, ce séjour de la pensée pure et des sublimes contemplations, est devenue le foyer de l’athéisme.

Ne pensez pas non plus que ce soient là des erreurs isolées, ce serait une singulière illusion. J’ai dit que je voyais là une maladie inévitable dans les conditions présentes de ce pays ; j’ajoute que cette maladie est contagieuse, et qu’elle frappe chaque année la jeune république des universités. Ni M. Feuerbach, ni M. Ruge, ni M. Stirner, ne sont des aventuriers que le scandale attire ; esprits élevés et amis de la science, il n’y a point chez eux d’insolentes bravades. J’ose dire qu’ils ignorent leur état, et subissent le mal le plus naturellement du monde. Autour d’eux, cependant, l’épidémie se propage, et les générations survenantes sont décimées. L’athéisme des jeunes hégéliens ne se concentre pas dans les limites d’une école honteuse d’elle-même, c’est le drapeau d’un parti qui grossit chaque jour, et qui, se croyant dans la route du vrai, expose ses dogmes avec une candeur sans exemple. Je doute que l’histoire de la pensée humaine ait jamais donné le spectacle d’une situation pareille.

S’il existe des esprits impatiens comme M. Arnold Ruge, lesquels, excités encore par des ressentimens secrets, désespèrent de leur patrie, il en est d’autres qui ne sont pas si mécontens et qui comptent avec orgueil les philistins convertis à l’athéisme. Voici une lettre que j’ai