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dont on se sert pour établir les droits des familles. Des actes authentiques ont été découverts, desquels il résulte : 1° que l’homme marié le 20 février 1662 à Armande-Gresinde Bejart (c’est-à-dire incontestablement Molière) était fils de Jean Poquelin et de feu Marie Cressé ; 2° que Marie Cressé, femme de Jean Poquelin, était morte le 11 mai 1632 ; 3° que, le 15 janvier 1622, était né un fils, nommé Jean, du mariage de Jean Poquelin et de Marie Cressé ; 4° qu’enfin le mariage avait été contracté le 27 avril 1621. Sur le vu de ces quatre actes ainsi disposés, et en remontant, comme il faut faire, du dernier aux précédons, il n’y a pas de juge qui ne délivrât une succession à qui les produirait. Il faut donc remercier celui qui les a cherchés avec une heureuse persévérance, et qui nous a véritablement rendu la généalogie de Molière.

II. 1637. — A l’époque de la naissance de son premier fils, Jean Poquelin, époux depuis neuf mois de Marie Cressé, était non pas, comme dit Voltaire, marchand fripier, mais tapissier, ce qui a toujours été, ce qui était surtout alors fort différent. Il ne faut qu’avoir vu quelques débris des ameublemens de ce temps-là, des tentures qui couvraient les murailles ou qui enveloppaient les lits, pour comprendre que ce n’était pas là un bas commerce, une pauvre et mesquine industrie. Toutefois il n’était pas encore valet de chambre tapissier du roi. Il ne le devint qu’en 1631 par transmission d’une charge qui était déjà dans la famille, et la survivance en fut assurée, l’an 1637, à son fils aîné, âgé alors de quinze ans. Ceci est encore de découverte récente ; mais on s’est étrangement mépris sur le sens de cette survivance obtenue du roi en faveur d’un héritier. On a voulu y voir une sorte de contrainte paternelle, qui condamnait d’avance le fils à un vil emploi, qui le vouait par anticipation au service domestique et lui traçait son humble destinée. Il y a tout autre chose, et bien mieux que cela, dans la précaution du père et dans la libéralité du roi. Faire pourvoir son fils en survivance de la charge dont il était devenu titulaire, c’était lui en transmettre dès-lors la propriété, le faire maître d’un patrimoine, empêcher qu’après la mort du père cette charge ne fût un bien perdu pour sa succession, l’héritier préféré s’en trouvant déjà saisi. C’était donc avantager celui-ci d’une chose certaine et solide, car, la mort du titulaire arrivant, le survivancier pouvait, à son choix, exercer la charge ou la vendre, en user ou en profiter. Et celle dont nous parlons n’était assurément pas de mince valeur, en raison surtout des privilèges d’exemption et de juridiction qui s’y trouvaient attachés, car les huit tapissiers, dont Jean Poquelin était l’un, faisaient partie des « officiers domestiques et commensaux de la maison du roi, » compris aux états enregistrés par la cour des aides ; ils avaient « titre de valet de chambre et ordinaire à leur table : » toutes choses fort propres à tenter la vanité d’un riche marchand sans nuire à ses affaires, puisque le service était seulement de trois mois avec « 300 livres de gages et 37 livres 40 sols de récompense. »

Sauf cette circonstance qui fait paraître, en 1637, le nom du jeune Poquelin dans un document public, on peut dire que rien, absolument rien, ne nous révèle l’emploi de ses premières années. Ce qui est fort probable, c’est que son père, bon bourgeois, marchand aisé, « honorable homme, » comme l’appelle, l’acte mortuaire de sa première femme, fit élever son fils de la même façon que le faisaient tous les hommes de sa condition, ce qui ne les ruinait pas, et rendait leurs enfans propres aux menues charges, aux lettres, au barreau, à l’église. C’est d’ailleurs ce que semble dire la notice de Lagrange et Vinot par ces mots