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tout simples qui suivent immédiatement la mention de sa naissance : « Il fit ses humanités au collége de Clermont. » Mais ceci était trop simple en effet. On y ajouta plusieurs circonstances fabuleuses, sur lesquelles la manie des phrases ne manqua pas d’enchérir encore, et le père Poquelin en devint la victime. Ce brave homme fut représenté comme une espèce de tyran niais, borné, stupide, qui voulait anéantir la pensée de son fils dans un ignoble apprentissage, qui ne le laissait pas regarder hors de « sa boutique, » et ne permettait pas qu’il apprît autre chose qu’à « lire, écrire et compter. » Cet abrutissement calculé du génie aurait duré quatorze ans, pendant lesquels le malheureux enfant n’aurait eu aucun rayon de ce qui se passait dans les régions de l’esprit, si sa bonne étoile ne lui eût donné un grand-père curieux de la comédie. Ce grand-père, du côté paternel d’abord, puis, quand on sut que l’aïeul Poquelin était mort en 1626, transféré au côté maternel, aurait arraché quelquefois son petit-fils à l’ennui de sa prison pour lui faire voir les acteurs et les pièces de l’hôtel de Bourgogne. Ce fut là, (lit-on, qu’à l’aspect des Belle-Rose, des Gauthier-Garguille, des Gros-Guillaume, des Turlupin, sa passion se déclara, et que, pour se mettre en état d’imiter, d’égaler, s’il se pouvait, de si beaux modèles, il demanda en pleurant et il obtint enfin, à force de prières, la permission d’étudier le grec, le latin, la philosophie au collége des jésuites. Il paraît certain qu’il suivit les cours de ce collége dans le même temps que le prince Armand de Conti, filleul du cardinal de Richelieu et frère du duc d’Enghien, depuis le grand Condé. Le prince de Conti avait sept ans de moins que Molière ; mais on sait que les fils de grande famille commençaient de bonne heure leurs études et les achevaient vite, pour se trouver plus tôt prêts aux gouvernemens, aux prélatures qui les attendaient. Ceci d’ailleurs est un fait confirmé par Lagrange et Vinot, dont il faut toujours respecter le témoignage, et, si la différence d’âge rend cette camaraderie étrange, elle ne suffit pas pour en établir l’impossibilité ; mais, ce qui est impossible en tout cas, c’est de la faire durer au-delà des premières études, des humanités proprement dites. La Gazette de France qui consigne, comme c’était son devoir, les moindres actes des princes, nous apprend que le prince de Conti soutint ses thèses de philosophie au collége des jésuites, le 28 juillet 1644, à l’âge de quinze ans, et à cette époque, ainsi que nous le verrons, Jean-Baptiste Poquelin, âgé de vingt-deux ans, était bien autrement avancé dans la vie. Il avait étudié la philosophie et le droit. Il était ou il allait se faire comédien.

III. 1642. — Ces quatre phases de sa jeunesse, humanités, philosophie, droit, théâtre, étaient tout ce qu’en avaient conservé, ou ce qu’avaient voulu en donner ses premiers biographes, ceux qui avaient vécu avec lui. Le biographe de 1705, qui n’en connaissait rien, a voulu en dire plus. « Quand Molière eut achevé ses études, écrit-il, il fut obligé, à cause du grand âge de son père, d’exercer sa charge pendant quelque temps, et même il fit le voyage de Narbonne à la suite de Louis XIII. » Il n’est pas bien sûr que Grimarest sût au juste ce que c’était que le voyage de Narbonne ; mais du moins il ne s’avançait pas jusqu’à en donner la date. Ceux qui l’ont copié ou abrégé, et Voltaire est de ce nombre, ne s’en sont pas tenus là ; ils ont bravement daté le fait de 1641. Il s’en est suivi que, pour l’usage particulier des vies de Molière depuis 1734 au moins jusqu’à ce jour, sans exception aucune, ce voyage assez notable, dont Cinq-Mars et de Thou ne revinrent pas, a gardé la date de 1641, tandis que partout ailleurs il figure avec assez d’éclat comme l’événement le plus terrible de l’année 1642, du 27 janvier