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Lui fit ouïr de jolis vers
Animés par de fort beaux airs,
Que, d’une façon singulière,
Avoit faits le sieur de Molière,
Lequel, outre le beau talent
Qu’il a de danseur excellent,
Met heureusement en pratique
La poésie et la musique.
(1656. Lettre 36, 9 septembre.)


L’association des « enfans de famille, » sous le titre de « l’Illustre-Théâtre, » à laquelle il nous faut revenir, n’eut pas « de succès, » et c’est en effet la seule mention portée au frontispice de la pièce de Magnon, jouée par cette troupe, qui compose toute son histoire. Elle exista en 1645. Un biographe a déjà fait justice d’une assertion de Grimarest, qui prétend que « le prince de Conti avait fait venir plusieurs fois dans son hôtel, » dès ce temps-là, Molière et ses compagnons pour jouer devant lui et recevoir ses encouragemens ; mais il n’a pas aperçu ce qui rendait le fait allégué tout bonnement impossible. Le prince de Conti, âgé de seize ans, avait soutenu, en 1644, ses thèses de philosophie. Destiné à l’église, c’est-à-dire au cardinalat, il étudiait, en 1645, la théologie. Son père vivait encore, avare, sévère et dévot, dans le logis duquel il demeurait. Ce n’était donc là ni un âge ni un état à tenir une joyeuse maison, à protéger des comédiens, à leur donner surtout assignation pour se trouver, dix ans plus tard, avec lui dans le Languedoc, où il était fort probable qu’il n’irait jamais. Le prince de Conti soutint ses premières thèses de théologie en Sorbonne, le 10 juillet 1646. Nous verrons ce qui lui arriva ensuite.

V. De 1646 à 1653. — Cette année 1646, suivant toutes les apparences, la troupe infortunée de « l’Illustre-Théâtre » avait quitté Paris pour « courir par les provinces du royaume, » comme disent Lagrange et Vinot, et elle courut si bien, que, pendant sept ans, elle ne laissa aucune trace. Ni Grimarest ni ses abréviateurs, Voltaire et La Serre de Langlade, n’ont trouvé à placer, dans cet intervalle, une seule indication de fait ou de lieu. Les recherches modernes ont voulu le remplir par plusieurs séjours en Guyenne, à Vienne, à Nantes et même à Paris. Celui de Guyenne n’est pas daté, et la courte mention qu’en donnent les biographies contient une singulière bévue. Les frères Parfaict avaient cité un manuscrit du sieur de Tralage, où il était dit que la troupe de Molière avait fait son coup d’essai à Bordeaux, et que M. d’Épernon, qui était alors gouverneur de Guyenne, l’avait fort goûtée. « M. d’Épernon » était bien dit, car le gouverneur de Guyenne, depuis 1643 jusqu’à 1651, était, en effet, Bernard de Nogaret, duc d’Épernon. Survint un biographe, qui, pour se montrer plus connaisseur en fait de gens, écrivit, en copiant ce passage, « le fameux duc d’Épernon. » Ceci devenait différent, car le plus fameux des deux seuls ducs d’Épernon qui soient dans l’histoire est, sans contredit, le père du second, Jean-Louis de Nogaret. Enfin le dernier commentateur de Molière, se déclarant encore plus savant que ses devanciers, désigna clairement ce protecteur de la troupe comique en Guyenne, « le duc d’Épernon, si fameux sous les règnes de Henri III et de Henri IV. » Or, ce duc était mort, à quatre-vingt-huit ans, le 13 janvier 1642. C’est là un exemple entre mille du danger où l’on se met et où l’on entraîne les