Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/292

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais, oyant leurs fines paroles,
J’en ris pour plus de dix pistoles.
(Lettre du 6 décembre 1659. « Apostille. »)

Tout est d’une rare valeur dans ce feuilleton qui date bientôt de deux siècles, et la confusion des auteurs, et le rassemblement des pièces alors en crédit, et l’absence encore cette fois du nom de l’auteur qui, jouant le rôle de Mascarille, ne s’appelait pas autrement pour les spectateurs, et la joie candide de ce brave Loret, homme aussi spirituel qu’un autre, qui s’est amusé pour plus que son argent et qui le dit sans aucun souci d’appréciation littéraire, et surtout la certitude que ces lignes rimées ont été lues dès le lendemain par Molière, dont elles auront réjoui le cœur. Six semaines après, ce fut bien une autre épreuve pour son ambition. Il se trouva menacé de voir son rouvre « imprimée malgré lui, ou d’avoir un procès. » Il choisit en effet le plus doux parti, il consentit à recevoir pour les Précieuses un honneur qu’il n’avait donné ni à l’Étourdi, ni au Dépit amoureux, et il accompagna d’une préface plaisante cette édition (achevée d’imprimer le 20 janvier 1660), où l’auteur parlait et n’était pas nommé.

Six mois plus tard, le 28 mai, toujours sur le théâtre du Petit-Bourbon, toujours pendant l’absence de la cour, la troupe des comédiens de Monsieur, diminuée de Jodelet qui venait de mourir (fin de mars), mais qui se trouvait déjà dignement remplacé par Gros-René, représenta une autre pièce de son auteur, pièce en un acte seulement, mais en vers, et ayant pour titre : Sganarelle, ou le Cocu imaginaire. On sait, d’un témoin du temps, qu’elle fut jouée quarante fois de suite, c’est-à-dire pendant plus de trois mois, trois jours par semaine. Recueillie par la mémoire d’un spectateur qui obtint un privilège pour l’imprimer, sans qu’il y fût question de l’auteur, elle fut publiée en août 1660. La dédicace, fort originale, de celui qui l’avait dérobée à celui qui l’avait faite, paraît avoir été ajoutée plus tard, et l’auteur y est nommé « de Molier. » Ce qui est le plus à remarquer dans cette comédie, simple canevas italien brodé d’excellens vers que faisait valoir davantage l’admirable jeu de l’acteur, c’est ce nouveau personnage introduit cette fois par Molière, et dont il semblait vouloir prendre désormais la figure. Mascarille avait fait son temps : valet de l’Etourdi et mystificateur hardi des Précieuses, Mascarille nous représente la jeunesse de Molière qui s’en allait tantôt passée. A l’âge de trente-huit ans et plus, il lui fallait un caractère plus mûr, moins pétulant, moins moqueur. Sganarelle est dans ces conditions, et, quoique Molière doive bientôt prendre son essor fort au-delà de ces rôles à physionomies connues, revenant toujours les mêmes dans des actions différentes, il est certain que sa pensée était alors de s’approprier celui-ci et de le faire reparaître souvent ; nous le reverrons dans l’École des Maris.

Mais, pendant que Mascarille et Sganarelle divertissaient la ville, les grands événemens qui en avaient éloigné tout un an la cour venaient d’être consommés. La paix était accomplie, le mariage du roi conclu, et Paris préparait ses plus brillantes fêtes pour la réception du couple royal. Ce n’était pas là un bon temps pour les théâtres, car le spectacle était partout, sur les places publiques, dans les palais, dans les hôtels, plus brillant, plus somptueux, plus animé que ne pouvaient l’offrir les faibles imitations d’une scène mesquine. Sganarelle avait