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II.

El pobrecito Hablador (le pauvre Jaseur), premier pamphlet périodique de Larra, parut les neuf premiers mois de 1832, époque de transition sur laquelle planaient tour à tour la souriante auréole de Marie-Christine et le génie soupçonneux de Ferdinand VII, qui feignait bien parfois de mourir, mais qui ne fermait en réalité qu’un œil. Après tout, la pensée satirique n’y perdait pas. L’écrivain, qui n’osait élever ses visées trop haut, dans la crainte d’entrevoir à l’horizon un bout de potence, frappait à sa portée dans le terre-à-terre des abus, des préjugés, des habitudes où reposait le vieil ordre de choses et n’en frappait que mieux : l’édifice est plus sûrement sapé par la base que par le faîte. Larra excellait à jouer de ces tours à la censure encore ombrageuse du ministère Zéa-Bermudès. Quelque personnalité trop ambitieuse échappait-elle à sa plume, vite un renvoi, qui n’était lui-même qu’une impertinente désignation, apprenait au lecteur que le pobrecito Hablador n’entendait nullement inculper « le juste gouvernement, l’auguste monarque dont les bonnes intentions… » Suivait une longue liste de bonnes intentions. Je doute que le pamphlétaire et son auguste monarque eussent pu se regarder sans rire ; mais la censure édifiée laissait tomber ses ciseaux devant cette prose si bien apprise, et cela suffisait. Le pobrecito Hablador est presque tout entier sous la forme épistolaire, cette forme favorite de notre pamphlet d’autrefois. Le bachelier don Juan Perez de Munguia, qui a hérité du bon sens un peu épilogueur de Sancho Pança, et son correspondant et ami Andres Niporesas, personnification plus franche de l’immobilité péninsulaire, de l’hésitation qui se résout en quiétude, y causent, sans malice apparente, des hommes et des événemens des Batuecas. Les Batuecas sont quelque chose comme la Béotie de l’Espagne, et vous devinez déjà que, dans les transparentes allusions de l’écrivain, les Batuecas étendront leurs frontières fort loin. Sous la placide physionomie de l’habitant des Batuecas, Larra a très finement reproduit, — trop finement même pour les besoins de la traduction, qui ne saurait rendre ses plus caractéristiques façons de parler, — le vieux chrétien, l’hidalgo pur sang, le Castillan fossile, se gaudissant en sa robuste ignorance et sa formidable santé ; estimant son patois par-dessus toute chose comme fruit du cru, fruta del pays ; trouvant son vin (vino qu’on prononce bino) « également bon qu’il s’écrive par b ou par v ; » dédaignant le latin, « parce qu’il ne doit pas chanter la messe, » la géographie, « parce que c’est l’affaire des postillons, » la botanique, « parce que le marché aux légumes lui en fournit assez pour son usage, » la zoologie, ajoutera-t-il avec son plus gros rire, « parce qu’il ne connaît déjà que trop d’animaux, » et ainsi de