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nullités avides qu’il a fallu apaiser, soit par la création de doubles emplois, soit par des mises en disponibilité (cesantias), qui laissent aux anciens titulaires la majeure partie et souvent la totalité de leur traitement. Multipliez ce ruineux va-et-vient par huit ou dix pronunciamientos dont chacun a grevé l’avenir de sa dette de cesantias et de sa dette de favoritisme, et vous aurez une idée de l’effrayante absorption qui ruine depuis quinze ans les veines du budget. Passe encore si chaque employé se contentait de sa part légitime du gâteau ; mais un péculat éhonté, avoué, normal, tarit, dans toutes les branches de l’administration, les sources les plus directes du revenu. Andres Niporesas en dira plus long que nous-même dans sa perfide bonhomie :

« … La carrière administrative offre d’autres agrémens. Certains emplois, par exemple, comportent un maniement de fonds, et il y a çà et là des excédans… On rend ses comptes, ou on ne les rend pas, ou on les rend à sa manière. Non que cela me semble mal, non, certes ! Ce que Dieu a donné, saint Pierre le bénisse ! Plusieurs trouvent déplaisant qu’à chaque main que rencontrent ces rivières, il reste quelque chose. A cela je demande s’il est possible de supposer qu’il n’en reste pas toujours quelque chose dans les mains de quelqu’un. Le fait est que certains corps sont visqueux de leur nature, et, si tu approches trop d’une outre de miel, nécessairement tu t’englueras, sans que ce soit en rien ta faute, mais bien la faute du miel, qui par lui-même est gluant.

« Je sais quelques autres petits emplois comme en possédait un certain ami de mon père : cet ami touchait vingt mille réaux de traitement, et il évaluait à quarante mille ses profits en eau trouble ; mais il faut dire aussi que cela tombait en d’excellentes mains. Bon an mal an, ce digne monsieur pouvait dire, à Noël, qu’il avait bien donné, au bout des douze mois, près de cinq cents réaux en petits lots d’une demi-piastre à des donzelles mal accommodées et autres pauvres gens de cette catégorie ; car, cela oui ! il était fort charitable… De cette façon, qu’importe que les mains s’engluent quelque peu ? On rend à Dieu ce qu’on prend aux hommes, si c’est prendre que de saisir au passage ces petits profits innocens qui viennent à vous par la seule impulsion de leur propre rotondité. Si on s’en allait arrêter les voyageurs sur un grand chemin, passe ; mais quand il ne s’agit que de prendre dans un bureau, avec toute la commodité possible, sans le moindre risque… Suppose qu’une instance te passe par les mains et que de cette instance sorte une bonne affaire : tu as voulu obliger un ami pour le plaisir de l’obliger, rien de plus, et cela est fort raisonnable ; chacun en eût fait autant. Cet ami devant sa fortune à un avis émis par toi, il est assez naturel qu’il te glisse dans la main la courtoisie de quelques onces… Non ! fais le scrupuleux et ne les prends pas ; un autre les prendra, et le pis de la chose, c’est que l’ami se formalisera, et avec raison. Enfin, puisqu’il est maître de son argent, pourquoi trouver mauvais qu’il le donne au premier venu, au lieu de le jeter par la fenêtre ? Outre que la reconnaissance est une grande vertu et que c’est une très grossière faute contre le savoir-vivre que de mortifier un homme de bien qui… Mais allons donc ! Nous serions bien, ma foi ! si les vertus sociales venaient à