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Dans son impatience d’être bon à quelque chose, Niporesas se décide à émigrer. Diverses raisons l’empêchent de profiter « de la commodité qu’ont les Espagnols d’émigrer sans sortir de leur pays, » c’est-à-dire en allant à Gibraltar. Il n’y pourrait étudier que les Juifs, et Niporesas, qui ne pressentait pas encore M. Mendizabal[1], ne voyait pas trop à quoi pouvait lui servir cette étude. L’Angleterre ne lui sourit pas non plus. Il songe un moment aux États-Unis ; mais une crainte subite l’arrête. Sortis de France au moment où les menées légitimistes et républicaines se coalisaient sourdement contre l’œuvre de juillet, les hommes politiques de 9834, dans leurs scrupules de contrefaçon, se sont mis à voir partout des républicains, et dans tous les républicains des carlistes déguisés. Or, Niporesas tient trop à s’initier à l’orthodoxie du jour pour aller faire son noviciat de libéralisme dans une république :


« Aller aux États-Unis fut une idée qui me survint plus d’une fois ; mais aussi, m’en aller chez un peuple qui n’a pas et qui n’a jamais eu de roi, c’était un peu fort. Comment diable s’arrangent-ils, et vivent-ils, et prospèrent-ils ? Ce doit être des brutes pour le moins.

« Ce seul fait prouve que les Américains sont une race intrinsèquement démagogique, anarchiste et démoralisée. En se conformant à l’opinion de ceux des hommes du jour qui se tiennent à la hauteur du siècle, il faut tout au moins avouer deux choses : d’abord, que c’est un peuple arriéré, ces idées de république étant des idées vieilles, des idées de 89 ; ensuite, que ceux qui veulent la république ne cherchent que le désordre et le retour du despotisme, car c’est à quoi nous poussent sournoisement les républiques. Aussi en Espagne est-ce un fait acquis que ceux qui affectent des tendances républicaines ne sont autre chose que des agens de don Carlos : d’où on peut clairement inférer que les États-Unis sont irrécusablement carlistes, et, si tu en doutais encore, le temps te l’apprendra ; quelque jour se découvrira la trame, et tu verras ce qu’ils nous réservent. »


Ce placide et souriant persiflage n’épargnera pas plus le programme des hommes du jour que leurs chimériques répugnances pour le parti républicain, qui n’existait qu’en leur cerveau. Niporesas finit par se décider, comme tout le monde, pour la France, et, dans sa manie d’actualité, il s’éprend, bien entendu, de notre théorie constitutionnelle :


« Une fois bien convaincu qu’il était nécessaire d’émigrer pour savoir et d’étudier les pratiques étrangères pour connaître les nécessités nationales, mon premier soin fut d’apprendre à tout prix comment devait être constitué un peuple pour être heureux, et quelle forme de gouvernement était la seule vraie. Je mis donc de côté toute idée d’absolutisme ou de république comme également nuisible ; je me rappelai, d’une part, le passé ; je méditai, d’autre part, l’avenir : , je gagnai à ce travail de rester en parfait équilibre au beau milieu de la corde. Arrivé là, je me dis : Quel est le problème du jour ? Au lieu

  1. Qui passe pour être d’origine juive.