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d’un roi qui règne sur un peuple, comme cela s’est fait jusqu’à ce jour, ou d’un peuple qui règne sur lui-même, comme cela doit se faire avec le temps, il faut un peuple qui règne sur un roi, un peuple où chaque citoyen soit un fragment de roi et où le roi soit un fragment de citoyen. Tiens, tiens, m’écriai-je, j’ai mon affaire en France, où trente-quatre millions d’hommes, moins un, unis de la façon la plus étroite avec cet un, font en commun avec lui les lois de tous, où un, en d’autres termes, vaut la moitié de ce que valent tous ; grand juste-milieu assurément ! car dans les gouvernemens absolus un égale tous, et dans les gouvernemens démocratiques un égale un ; erreur grave des deux parts… »


Larra, comme le laisse entrevoir cet ironique ergotage, n’a pas une foi très vive dans notre dualité politique, et surtout dans sa contrefaçon espagnole. Si on lui donnait à choisir entre les deux formes extrêmes de gouvernement, il hésiterait peut-être ; mais, à coup sûr, il n’essaierait pas d’échapper à la nécessité d’opter par le moyen terme constitutionnel. Ces aspirations vers l’unité du pouvoir, dût ce pouvoir s’appeler démocratie ou monarchie absolue, reparaissent fréquemment dans les écrits de Larra ; elles sont moins un caprice de pamphlétaire qu’un instinct sincère et lumineux de la véritable situation. Il suffira, pour s’en convaincre, de jeter un coup d’œil rapide sur la période de 1834 à 1843. C’est ici surtout que vont apparaître en foule ces étranges transpositions de causes et d’effets, déjà çà et là entrevues, et que j’appellerais la fatalité de l’absurde, si le fanatisme de l’imitation ne suffisait à les expliquer. Sous cette épidémique influence, on verra les libéraux, — de vrais libéraux cette fois, — organiser candidement la réaction, et cette réaction grandir en raison directe du libéralisme des écoles politiques qui se sont tour à tour succédé au gouvernement.


IV.

« Monarchie absolue ou république ! » disait Larra, et il est permis de ne pas accepter dans toute sa rigueur cette périlleuse alternative. Le despotisme avec un homme de génie sur le trône, la république avec un peuple froid, positif, âpre au gain, rompu surtout aux pratiques légales, voilà les seules conditions d’opportunité de ces deux extrêmes, et ces conditions se fussent rencontrées peut-être moins en Espagne que partout ailleurs. Un moyen terme était donc indispensable ; malheureusement ce moyen terme a été mal choisi et plus mal appliqué. On peut impunément l’avouer, aujourd’hui que notre système, — c’est-à-dire le partage de la souveraineté entre le trône et la bourgeoisie, — se trouve implanté de force dans les habitudes espagnols, comme un coin qu’on repousse dans le tronc d’abord résistant d’un chêne et que le tronc déchiré finit par retenir. Ce système était, de toutes les théories de gouvernement, celle qui convenait le moins à