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et sans secousses les innombrables réformes que réclame le vieil état social. Les hommes de 1834 ont pris la question à rebours. La France s’organisait et prospérait par le juste milieu, par le gouvernement de la classe moyenne, et, sans tenir compte des différences radicales qui existaient entre les deux situations, ils ont voulu donner un juste milieu à l’Espagne. Ils ont enlevé à la royauté deux parts de souveraineté sur trois ; ils ont mis en suspicion le peuple, qui, une fois exclu de l’orbite légale, où sa place était pourtant si clairement marquée, est resté à la merci de l’intrigue, et, non contens d’avoir paralysé et séparé les deux agens naturels de l’intérêt réformiste, ils ont livré les destinées de la révolution… à qui ? à la contre-révolution, au népotisme concussionnaire et à la contrebande, aux employés et aux marchands[1]. En Espagne, où l’industrie est à peu près nulle et où la propriété foncière embrasse bien moins de degrés que chez nous, la classe moyenne se recrute principalement, en effet, dans ces deux catégories.

L’absurde a sa logique : le principe admis, tout ce qui l’a étendu a paru profitable ; tout ce qui est venu accroître l’influence de ces singuliers coopérateurs de la révolution a été considéré comme un pas de plus dans les voies du libéralisme gouvernemental. La loi électorale de 1834 avait restreint cette influence à la seconde chambre et l’avait enlacée dans les entraves du double vote et d’un cens d’éligibilité assez fort : aussi M. Martinez de la Rosa, auteur de cette loi, passa-t-il pour un constitutionnel timide. La loi de 1837, décrétée par des libéraux plus hardis, des progressistes, est en revanche le chef-d’œuvre du genre. Par cette loi, la chambre haute, dernier refuge de l’initiative réformiste, et dont la composition était dévolue partie à l’hérédité, partie à la nomination royale, est soumise à l’élection. Ce n’est pas tout : la patente, le loyer, le traitement dans certains cas, tout ce qui est le signe pécuniaire de la profession d’employé ou de marchand, y priment le cens foncier même. Aux termes de l’article 7, par exemple, le petit commerçant qui, au moyen de sa patente et de sa cote personnelle et mobilière, a pu compléter 50 francs d’impôt ; le titulaire de tout emploi comportant des examens préliminaires et donnant 325 francs de revenu annuel ; le carabinero, l’alguazil, le petit employé, qui paient 100 francs de loyer annuel dans les villes n’excédant pas vingt mille ames, etc., sont bien et dûment électeurs, voire éligibles, tandis que les fermiers, les paysans, sont tenus, pour être admis à voter, de justifier d’un fermage de 300 francs. On devine le résultat. Des élections livrées à une majorité d’employés et de contrebandiers ne pouvaient produire qu’une autre majorité

  1. Commerce et contrebande sont synonymes dans la Péninsule, qui n’a pas d’industrie, et où existent encore les douanes intérieures. Il est en ce moment question de réduire de 1,700 à sept les articles atteints par le tarif intérieur.