Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/336

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ETUDES SUR L'ANTIQUITE.




SAPPHO ET LES LESBIENNES.




I.

L’île de Lesbos était fertile en bons vins et en belles femmes. Il s’y faisait un grand commerce de l’un et de l’autre. Placée sur la route des colonies grecques de l’Asie Mineure, elle se trouvait être tout à la fois une station et un entrepôt ; marchands, voyageurs, matelots, y affluaient de toutes parts ; les mœurs y étaient donc fort dissolues. Dans ce pays trop favorisé du ciel, un sang si beau, des vins si généreux, le climat seul et l’air tantôt allanguissant, tantôt chargé des parfums pénétrans de la mer, développaient la vie sensuelle naturellement : or, il n’y a pas loin de la vie sensuelle à la vie corrompue. Qu’on y ajoute cette multitude de passagers, gens de mer et gens de commerce ; on comprendra facilement comment cette île put devenir très vite un foyer de débauche, et, pour parler comme les anciens, un séminaire de courtisanes.

Nous prions la délicatesse moderne de ne point s’alarmer outre mesure et de se résigner pour un moment à étudier sérieusement et sans pruderie une petite page des mœurs antiques. Sur ce chapitre et sur un ou deux autres plus graves encore que nous toucherons en passant, la morale des Grecs n’était pas la nôtre ; mais telle est la nécessité de notre sujet : les admirables poésies de Sappho ne s’expliquent que par sa vie, sa vie est inséparable de celle des Lesbiennes, et il est impossible de parler des Lesbiennes sans dire quelques mots de l’histoire des courtisanes grecques. Suivons donc cet enchaînement dans l’ordre inverse.