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Pour arriver jusqu’à Sappho, dont la vie tout entière fut vouée à l’amour, passons à travers ces bois de myrtes aux ombrages mystérieux qui entouraient le temple d’Aphrodite.

C’était le grand législateur Solon, comme le rapporte Plutarque sur un grand nombre d’autres témoignages, qui avait introduit à Athènes l’usage des courtisanes, afin d’assurer la morale publique. Il en avait fait venir d’Ionie. En effet, ce fut surtout la plus célèbre des colonies ioniennes, Milet, patrie d’Aspasie, qui partagea avec Lesbos, patrie de Sappho, le privilège de fournir à toute la Grèce des courtisanes admirables. — Leur beauté naturelle n’était rien ; c’était l’éducation (tant la moralité et l’immoralité se mêlent chez les Grecs, peuple artiste et voluptueux !) qui donnait aux courtisanes tout leur prix. Cette éducation était remarquable à beaucoup d’égards. — L’éducation complète se divisait en deux branches principales, la gymnastique et la musique. La gymnastique comprenait tout ce qui regarde le corps ; la musique, tout ce qui regarde l’esprit. A la gymnastique proprement dite, qui dégageait la beauté des membres suivant les rhythmes naturels, qui en faisait saillir les formes avec proportion et qui les assouplissait en les fortifiant, se rattachait la danse, qui les développait suivant les rhythmes de l’art, et qui, outre les mouvemens cadencés et les poses harmonieuses, enseignait les poses lascives et les mouvemens passionnés, ces motus Ionicos dont parle Horace. Je n’entre pas dans ce détail ; qu’on lise Athénée, les Dialogues des Courtisanes de Lucien et les Lettres d’Alciphron[1]. La danse était la transition et le lien entre l’éducation du corps et l’éducation de l’esprit, car elle se rattachait d’un autre côté à la musique. La musique, comme son nom l’exprime, comprenait tous les arts des muses, c’est-à-dire la poésie, la philosophie, etc., outre la musique même. « La musique, dit Platon, est la partie principale de l’éducation, parce que le nombre et l’harmonie, s’insinuant de bonne heure dans l’ame, s’en emparent et y font entrer avec eux la grace et le beau. » D’un autre côté, les matérialistes définissent la musique un excitant pour les nerfs. Il est difficile en effet d’assigner quelle est, dans l’émotion musicale, la part de l’ame, la part des sens. Or, la musique ionienne, rude d’abord, mais qui s’était adoucie, puis corrompue en même temps que les mœurs, était celle qui amollissait les ames et qui chatouillait les sens. On pourrait diviser la musique tout entière en musique fortifiante et musique énervante. Les mêmes arts, selon l’emploi qu’on en fait, rendent l’ame et le corps plus habiles soit an vice, soit à la vertu, et la gymnastique aussi bien que la musique, la danse aussi bien que la poésie, entraient dans l’éducation sévère des vierges de Lacédémone comme dans l’éducation corrompue des courtisanes de Milet et de Lesbos. La poésie, pour celles-ci, était surtout l’expression harmonieuse de l’amour. La philosophie même

  1. Voyez aussi, pour commentaire perpétuel, les sculptures du musée secret de Naples.