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«  Et plus fier au-dessus des autres qu’un chantre de Lesbos au-dessus des chantres étrangers !…

« Comme un doux fruit rougit sur la plus haute branche,

« Et tout en haut sur la plus haute ; et on l’a oublié en faisant la cueillette ; Non, on ne l’a pas oublié, mais on n’a pu l’atteindre…

(Telle la jeune fiancée ?…)

« Comme l’hyacinthe que les pasteurs, dans les montagnes, foulent sous leurs pieds, et la belle fleur est brisée !… »

(Telle la jeune épouse et sa virginité ?…)

La première partie de ce fragment d’épithalame était prononcée sans doute par le chœur des jeunes garçons ; la seconde partie, par le chœur des jeunes filles. Si l’on nous passe le rapprochement, le début présente une ressemblance frappante avec les chants du dimanche des Rameaux :

« Élevez vos portes, princes ! portes éternelles, élevez-vous ! et le roi de gloire entrera ! Qui est ce roi de gloire ? c’est le Seigneur fort et puissant, le Seigneur invincible dans les combats. Élevez vos portes, princes ! portes éternelles, élevez-vous ! qui est ce roi de gloire ?[1] etc. »

Il y a dans Sappho plusieurs autres débris d’épithalames

« Salut, fiancée ! salut, beau fiancé ! salut !… »

« Heureux époux ! voilà les noces terminées suivant ton désir ; et tu possèdes la jeune fille qui faisait ton désir ! »

« Nulle autre n’est aussi belle… »

« Comme les étoiles pâlissent autour de la lune éclatante et cachent leurs blancs rayons, lorsque radieuse elle couvre toute la terre de sa lumière argentée… »

« Plus harmonieuse qu’une lyre, plus d’or que l’or[2]… »

L’épithalame, chez les modernes, a été (si toutefois il a été) un genre faux et ridicule, n’étant point né des mœurs nationales et des coutumes publiques ; dans l’antiquité, au contraire, ce ne fut pas une des veines les moins fécondes de la poésie. On entrevoit aussi, ce qui surprend d’abord, que le paganisme mettait à la célébration du mariage, quand c’était un mariage bien réel, plus de sérieux que nous. Nous, même avec un appareil religieux plus sévère, il semble que nous ayons toujours dans l’esprit le terrible mot de Beaumarchais : « De toutes les choses sérieuses, le mariage étant la plus bouffonne… » L’antiquité, plus sensée peut-être, sans se contrister et sans ricaner, considérait et célébrait le mariage tout à la fois comme une chose sérieuse et comme une chose gaie.

  1. Attollite portas, principes, vestras ! et elevamini, porta sternales, et introïbit rex gloriae etc. Ps. 23.
  2. J’aurais mis plus dorée, si l’on pouvait dire que l’or fût doré ; cela eût été moins exact.