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Au surplus, païenne ou chrétienne, il est clair que Sappho eût toujours aimé de même. Seulement son amour eût pu changer d’objet. Qui sait ce que Sappho chrétienne eût été ? peut-être elle eût été sainte Thérèse. L’hystérisme et le mysticisme ont des rapports cachés, mais réels ; l’un et l’autre parlent quelquefois la même langue, et produisent des phénomènes presque pareils. Nous avons cité le Cantique des cantiques, que l’un ou l’autre expliquent également. Qu’on lise aussi, par curiosité, les lettres de direction spirituelle écrites par le sévère Bossuet à la sœur Cornuau et à d’autres pénitentes : à voir les détails étranges de ses métaphores mystiques, on croirait qu’il n’ignore pas la chair ; cependant la pureté de Bossuet est, comme celle de Socrate, incontestable à nos yeux. Qu’on lise Fénelon et Mme Guyon ; mais surtout qu’on lise sainte Thérèse elle-même, puisque nous l’avons nommée ; on y trouvera mille passages comme ceux-ci, qui, ce me semble, ne continuent pas mal les citations de Sappho :


« Je sens que le divin époux est en moi ou que je suis abîmée en lui. Et dans cet état, mon ame se trouve tellement suspendue, qu’elle pense être hors d’elle-même ; la volonté aime, la mémoire s’évanouit, l’esprit se perd… C’est une joie qui n’est ni toute sensible ni toute spirituelle… »

« O mon Seigneur et mon Dieu, dont la vue fait la félicité des anges, mon cœur se fond comme la cire au feu de votre divin amour !… »

… « Peu s’en faut que je ne me sente entièrement défaillir ; je suis comme évanouie, à peine puis-je respirer ; toutes mes forces corporelles sont si affaiblies, qu’il me faudrait faire un grand effort pour pouvoir seulement remuer les mains ; mes yeux se ferment d’eux-mêmes, et, sils demeurent ouverts, ils ne voient presque rien… »

… « L’ame, dans ces ravissemens, semble ne plus animer le corps. Il sent que la chaleur naturelle l’abandonne et devient tout froid, mais avec un plaisir inconcevable… »

… « C’est un martyre délicieux… »

… « J’en suis accablée. Cela me réduit en un tel état, que celles de mes sœurs qui viennent à moi… disent qu’elles me trouvent sans pouls ; les jointures de mes os se relâchent ; mes mains sont si raides, que je ne les saurais joindre, et la douleur que je sens dans les artères et dans tout le reste du corps est si violente, qu’elle continue jusqu’au lendemain, et qu’il semble que toutes les parties de mon corps n’aient plus de liaison les unes avec les autres… »

« … Mais cette peine est si agréable, qu’il n’y a point dans le monde de contentement qui en approche, et l’ame voudrait pouvoir sans cesse mourir d’une blessure si favorable… Oh ! combien de fois, étant dans cet état, me suis-je souvenue de ces paroles de David : Comme la biche soupire avec ardeur après les eaux des torrens, ainsi mon ame soupire après vous, mon Dieu ! »

« … J’ai vu un ange à mon côté gauche dans une forme corporelle. Il était petit, d’une merveilleuse beauté, et son visage étincelait de tant de lumière, qu’il me paraissait un de ceux de ce premier ordre qui sont tout embrasés de l’amour de Dieu et que l’on nomme Séraphins. Cet ange avait en la main un dard qui était d’or, dont la pointe était fort large et qui me paraissait avoir à