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pousser déployait tous les efforts d’un art consommé. Cependant il est un homme qui assiste à ces luttes si vives avec une sorte de calme sardonique : c’est le troisième accusé, c’est l’auteur de tout le mal. L’arrêt n’est pas rendu, et cet homme est déjà l’objet d’un jugement silencieux et unanime dont seul il a l’air de ne pas s’apercevoir. Enfin il est un quatrième accusé dont l’absence a été le texte de mille commentaires et, paraissait autoriser les plus injurieux soupçons il n’a pas voulu y rester en butte, et sans reparaître encore, il les a écartés par des communications adressées à la cour des pairs. On sait quelle triste lumière ces pièces mises sous les yeux de la cour ont jetée sur les débats, et à quel acte de désespoir s’est abandonné celui des accusés pour qui ces preuves nouvelles étaient accablantes. Est-ce assez de détails douloureux, de tragiques incidens ? Jamais depuis longues années affaire n’avait éveillé à un si haut point l’anxiété publique.

C’est que ce procès, si remarquable par la dramatique variété de ses aspects, a aussi une importance sociale qu’il y aurait de l’aveuglement à méconnaître. Ce procès est déjà et sera de plus en plus entre les mains des hommes de parti un acte d’accusation contre le pouvoir, contre la société. On a déjà dit, on dira plus encore quand un arrêt solennel aura donné un caractère d’authenticité à certains faits, que la corruption nous mine, qu’elle a pénétré dans les entrailles du corps social et dans les plus hautes régions du pouvoir. Il est permis de prévoir un redoublement d’accusations passionnées. Les uns demanderont avec un accent de triomphe si on a jamais vu rien de pareil sous la restauration, si, pendant les quinze ans qu’elle a duré, on a eu le spectacle de ministres du roi traduits devant la cour des pairs pour crime de corruption. On comparera les deux époques pour arriver à cette conclusion, que, sous le régime qui a précédé 1830, les mœurs publiques étaient plus pures, et que les questions qui alors préoccupaient l’opinion étaient plus hautes et plus nobles. D’un autre côté, les radicaux opposeront à certains scandales la pureté idéale des mœurs et des institutions démocratiques : ils diront que, si nous sommes à ce point corrompus, c’est la faute de la monarchie constitutionnelle. Voilà le thème ; on le développera de mille façons. C’est ainsi que, des deux côtés et comme prise entre deux feux, la société de 1830 sera chargée d’accusations par les partis extrêmes, qui revendiqueront pour eux seuls tous les honneurs de la moralité.

Si nous opposons la réalité à ces exagérations, nous voyons que depuis dix-sept ans la société française, que quelques esprits ardens auraient voulu entraîner dans la belliqueuse imitation de la république et de l’empire, a préféré la paix à la guerre, les travaux de l’industrie à la gloire des armes, le développement de sa prospérité intérieure à de périlleuses aventures. Maintenant tous les régimes ont leurs excès. Dans les sociétés industrielles, l’amour du travail ne se sépare guère de l’amour du gain, et ce dernier sentiment peut aller jusqu’à l’avidité. S’il est reconnu que la richesse est aujourd’hui pour les peuples modernes un instrument d’affranchissement en disséminant le bien-être parmi les masses, elle est aussi pour ceux qui veulent la conquérir, comme pour ceux qui la possèdent, une séduction et un écueil. Elle est à la fois un puissant mobile dans les destinées d’un grand pays, et pour les passions individuelles une provocation irritante. La France pacifique et industrielle de 1830 ne s’est pas préservée de quelques tendances mauvaises : elle a trop laissé l’égoïsme, les calculs de l’in-