Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/390

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
384
REVUE DES DEUX MONDES.

comme on sait, sont soumises à la réélection avec des combinaisons telles que les modifications qui s’opèrent dans l’esprit des collèges électoraux peuvent tarder deux ans, quatre ans, six ans, selon les circonstances, à se traduire par un déplacement de la majorité parlementaire. Les catholiques avaient espéré que la réaction libérale, déjà manifeste dès 1843, irait se calmant à travers ces délais successifs : après les élections de juin, il ne leur est plus permis de conserver la moindre illusion à cet égard. Leur persistance n’a servi qu’à entretenir, à surexciter le mouvement de l’opinion. Le parti libéral n’a pu, à la vérité, qu’entamer la majorité catholique du sénat, soumise qu’est cette assemblée à des conditions d’éligibilité qui la livrent presque exclusivement à l’aristocratie foncière ; mais, en revanche, il a obtenu un succès complet, décisif dans les élections de représentans. Aujourd’hui l’opposition et le parti ministériel se balancent dans la seconde chambre avec une précision mathématique, et c’en est assez pour condamner le ministère à l’impuissance. On peut donc considérer comme certaine, pour l’époque de la rentrée des chambres, la retraite de M. de Theux ; car il n’oserait pas recourir à une dissolution qui, dans l’état actuel de l’opinion électorale, aurait pour unique résultat de précipiter la ruine définitive du parti catholique. La dissolution des chambres sera prononcée peut-être, mais par le futur cabinet libéral, si celui-ci ne pouvait vaincre autrement la résistance du sénat.

Le parti catholique ne cherche plus à dissimuler sa défaite. Ses journaux, naguère si confians, si dédaigneux, si incrédules devant la possibilité éventuelle de l’avènement des libéraux au pouvoir, en sont aujourd’hui réduits à dépenser leur ironie dans l’énumération des difficultés qui attendent le futur ministère libéral. Leur thèse favorite, c’est que le parti libéral n’est pas assez homogène peur gouverner. Est-ce une véritable cause de faiblesse ? Un parti homogène, dans l’acception rigoureuse du mot, c’est un parti exclusif ; il ne laisse aucune porte ouverte aux opinions mixtes, aux adhésions douteuses, cet appoint de presque toutes les minorités ; il supporte enfin tout entière la solidarité des fautes, des écarts politiques de chacun de ses membres, de chacun de ses chefs. Les catholiques ne sont tombés, en six ans, du faîte de la puissance que pour avoir voulu être un parti trop homogène. Il ne faut pas outrer sans doute ce raisonnement. Certaine homogénéité est indispensable aux partis qui ne veulent pas se résigner indéfiniment au rôle d’opposition ; mais cette homogénéité existe à un degré suffisant dans la coalition libérale. Trois élémens, dont les deux premiers sont même bien près de se confondre, composent cette coalition les doctrinaires, renversés en 1841 par le clergé ; les mixtes, qui, jusqu’à l’avènement de M. de Theux, ont voté avec les catholiques sur presque toutes les questions, sauf toutefois les questions qui intéressaient visiblement la prépondérance du clergé ; les ultra-libéraux enfin, qui ne sont, à tout prendre, en désaccord avec les doctrinaires et les mixtes que sur le mode de résistance à opposer aux envahissemens du clergé. Si donc ces trois fractions diffèrent entre elles sur quelques points, elles s’entendent sur un point essentiel, l’abaissement de leurs adversaires. Quelles que soient les divisions intestines du parti libéral, les catholiques n’en profiteront pas.


V. de Mars.